Le titre de l’exposition, « Post-Noir », fait référence à Post-Black, terminologie introduite par Glenn Ligon et Thelma Golden, directrice du Studio Museum de Harlem à New York, au début des années 2000.
Dans son essai du catalogue « Freestyle » au Studio Museum, une exposition collective de 2001 qui comprenait des œuvres de Mark Bradford, Rashid Johnson et Julie Mehretu, entre autres, Golden a écrit que ces artistes étaient « inflexibles sur le fait de ne pas être étiquetés comme des artistes ‘noirs’, bien que leur travail soit imprégné, en fait profondément intéressé, par la redéfinition des notions complexes de la négritude ».
Pour sa première exposition personnelle en France, la traduction littérale du titre est une façon d’intégrer ces questionnements à notre pays.
La phrase « negro sunshine » est empruntée au roman de Gertrude Stein, « Three Lives », paru en 1909. En isolant et en recontextualisant le terme, Glenn Ligon réinterprète les descriptions souvent stéréotypées et dégradantes de la négritude dans le roman de Stein pour trouver de nouvelles utilisations du langage.
Quand le noir n’est pas un thème mais une œuvre, quand le noir est celui de l’affirmation d’une identité, la marque d’une rude Histoire, mais quand le noir, au-delà de tout communautarisme, atteint une dimension universaliste, et non « outre », celui d’une élégance bourgeoise sans l’ombre d’un enjeu, alors on se prend pleine face les noirs de Glenn Ligon, noirs de lumière, noirs d’encre, noirs de peaux, noirs de nous, et les poils de se hérisser.
En exemple aux références à la culture et à l’histoire américaines dans son travail, « Hands » fait partie d’une série d’œuvres explorant des images de la Million Man March (Washington, D.C., octobre 1995), une manifestation qui visait à sensibiliser le pays à la situation socio-économique des Afro-Américains. À partir d’une petite image dans un magazine, Glenn Ligon a créé une peinture sérigraphique à grande échelle. L’agrandissement de l’image originale et la suppression des légendes ont rendu les informations qu’elle contenait indistinctes, la précision d’une action politique à un moment historique particulier disparaissant inexorablement lorsque le contexte de l’image n’est plus intelligible.
Comment, chez nous, ne pas penser aux mains tendues de ceux tentant d’éviter l’aspiration de la Méditerranée ?
Glenn Ligon est né en 1960 à New York. A l’origine, sa pratique artistique était centrée sur la peinture, en s’appuyant sur l’héritage d’artistes tels que Philip Guston, Cy Twombly, Robert Rauschenberg ou Jasper Johns ainsi que l’art conceptuel plus récent.
Glenn Ligon a très tôt cité du texte dans ses œuvres, en utilisant les mots au pochoir qui deviendront la marque de son œuvre. Il utilise un langage peint pour mettre en évidence les systèmes de valeurs sociales et politiques qui donnent un sens à ces textes et la manière dont ils sont modifiés ou soulignés par l’œuvre.
Un nouveau diptyque monumental de la série « Stranger » est présenté. Il inclut le texte intégral de l’essai fondateur de James Baldwin de 1953, « Stranger in the Village », dans lequel Baldwin raconte son séjour dans un petit village suisse, où la plupart des habitants n’avaient jamais rencontré d’homme noir auparavant. Glenn Ligon utilise le récit de Baldwin, qui établit des liens entre les contextes culturels des États-Unis et de l’Europe, pour réfléchir à « l’antiblackness » et aux séquelles du colonialisme.
Une salle de l’exposition rassemble une sélection de néons « America ». Commencés en 2008, ces néons transforment le mot « America » en le recouvrant de peinture noire, en le retournant, en l’inversant ou en l’animant, le traitant comme un matériau linguistique à manipuler et à modifier.
Sont également exposées des peintures inspirées d’ateliers avec de jeunes enfants dans le cadre d’une résidence au Walker Art Center de Minneapolis en 1999-2000. Ligon a choisi des illustrations afrocentriques des années 1960 et 1970 que les enfants devaient colorier, puis a reproduit les résultats sur de grandes toiles pour créer une série de peintures intitulée « Coloring ». Ces œuvres explorent la distance entre la créativité débridée de l’enfance et les notions conventionnelles du portrait, notamment en ce qui concerne des icônes telles que Malcolm X.
Si, déjà dans le passé, on notait l’excellence du travail de Guy Tossato et Françoise Cohen, les premiers conservateurs de Carré d’Art, comment ne pas dire, une fois de plus, la chance pour le musée d’avoir comme directeur et conservateur, Jean-Marc Prévost, qui enchaîne des expositions plus exemplaires les unes que les autres et la chance, pour nous spectateurs, d’avoir dans le sud de la France un des plus beaux musées d’art contemporain européens avec une collection et une programmation qui étonnent régulièrement, outre le public, les professionnels, galeristes et collectionneurs, venant du monde entier.
La superbe proposition de Nairy Baghramian au niveau 3, ajoutée au formidable accrochage consacré à Glenn Ligon au niveau 2, font du musée, cet été, un lieu magistralement exceptionnel. Assurément les superlatifs s’imposent.
Jean-Paul Guarino
« Post-Noir » à Carré d’Art est la première exposition personnelle de Glenn Ligon dans une institution française – avec le soutien de la Galerie Chantal Crousel.
L’exposition occupe le plateau, niveau 2, présentant habituellement la collection. Pour rappel à l’étage supérieur « Parloir », l’exposition de Nairy Baghramian, a toujours cours et ce, jusqu’au 18 septembre 2022. voir la chronique dédiée
Carré d’Art – Musée d’art contemporain de Nîmes, Nîmes (30)
Niveau 2
« Post-Noir »
Glenn Ligon
Commissariat de Jean-Marc Prevost
24 juin – 20 novembre 2022