Festival Montpellier Danse 2017, Lucinda forever

Lucinda

Soirée chargée d’émotion pour certains ce mardi 27 juin au soir au Corum, le calendrier voulant que 17 ans après avoir été donné dans ce même Opéra Berlioz, la bascule définitive dans l’Histoire du magistral « Dance » de Lucinda Childs ait lieu le jour de son anniversaire. La pièce était déjà entrée au répertoire du Ballet de l’Opéra de Lyon mais dorénavant le fameux film de Sol LeWitt n’a plus cours. Si le remake, au plan et millimètre près, réalisé par Marie-Hélène Rebois, restitue, on ne peut plus fidèlement, la pensée et l’œuvre de LeWitt, les images originelles de ce dernier ne sont plus projetées, entrainant la disparition sur l’écran de celles de Lucinda Childs en danseuse.

Souvenons-nous de ce qu’écrivait Corinne Rondeau au sortir d’une représentation de « Dance » en avril 2010 au Théâtre de la Ville à Paris.

 

Il y a des œuvres qui nous rendent sensibles à ce qu’elles sont et déploient en nous ce que nous ne sommes pas. Arrachés, déployés, dilatés, contractés, pulvérisés, nous devenons déplacement, mouvement, musique, paysage, pulsation, puissance : tout l’espace ignoré en nous, énergie souterraine et solaire, se met à exister. Exaltation inouïe de notre limite physique et optique, les œuvres de Lucinda Childs m’ont arraché à la mécanique intellectuelle. Y résister aurait été une folie. Je me décrochais de ma position experte de regardeur et de juge, je n’avais plus de raison suffisante à poser la question « qu’est-ce que je vois ? ». Il était impossible de figer mon regard. Comme le dit Sontag, la chorégraphie de Lucinda Childs vise au transport. C’est une puissance des correspondances, une logique d’unification : précision et multiplication des déplacements par une dynamique répétitive des mouvements ; dilatation de l’espace par concentration de l’intensité rythmique.
[…] Le spectateur de Lucinda Childs ne pense pas la danse, sans doute pour mieux comprendre qu’il n’avait, jusque-là, jamais pensé avec son corps. Au tout début, courir un soir de printemps sur le Pont Neuf de Paris était la découverte inattendue de l’ivresse et de l’extase d’un corps qui me faisait penser, loin des livres de Nietzsche, que la danse c’est la vie. Mais dans cette course pleine de joie, ma réflexion était idiote et je n’avais rien retrouvé du tout, ni le corps perdu, ni trouvé la vie dans la danse. Ce n’était pas la danse que je pensais, je ne pensais pas du tout, je surgissais mise à vif. Je voulais enchaîner cette vivacité jusqu’au bout dans mes pieds pour trouver ce qui, dans la salle de spectacle, avait grandi dans mon corps. Je m’arrêtais de courir et le souvenir de la danse de Lucinda Childs agitait un vers de Ballets de Mallarmé, « elle te livre à travers le voile dernier qui toujours reste, la nudité de tes concepts et silencieusement écrira ta vision à la façon d’un Signe, qu’elle est. » Ce signe de la danse était l’idée pure de l’enfance.

 

Texte intégral, paru dans Offshore #28  >>  ici

Et pour continuer, en librairie :

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« Lucinda Childs, Temps / Danse », Corinne Rondeau.
Coll. Parcours d’artistes du Centre national de la danse, 2013.