Une œuvre magistrale – Toni Grand au musée Fabre à Montpellier

 

« Morceaux d’une chose possible » est le titre de l’exposition mettant à l’honneur, au musée Fabre à Montpellier, le travail du sculpteur français Toni Grand. Une œuvre singulière et magistrale pour une expérience proposée au visiteur qui n’en est pas à la hauteur. Autant le déplorer et le dire d’entrée.

Le travail de Toni Grand, décédé pour rappel en 2005 à 70 ans seulement, a marqué toute une génération d’artistes du temps de son vivant et continue à nourrir la jeune création quand celle-ci a la chance d’en connaître l’existence. Donc félicitons-nous de pouvoir le côtoyer au sein de cette rétrospective qui réunit près de soixante-dix œuvres.
L’exposition-hommage se déploie sur près de 850 m² avec un parcours sage, des plus didactiques, et une chronologie quasiment respectée, pratique muséale par excellence.

Quatre sections mettent ainsi en évidence les différents moments de la carrière de l’artiste.
La première partie est baptisée « Du bricolage sans importance » où Toni Grand, travaillant alors à partir de chutes de bois prélevées aux alentours de sa propriété, use d’une grande maîtrise technique, créant des lignes courbes légères, sensuelles et néanmoins des plus puissantes. « Dotées d’une forte dimension critique et politique, ses œuvres s’opposent aux objets de consommation courante en ce qu’elles échappent à notre désir de manipulation, voire même à notre compréhension » est-il dit. Rien à comprendre, assurément, et c’est parfait ainsi. Cela s’appliquera, encore et toujours, au long des trois autres sections : « Le double-jeu de la sculpture », « Le vivant et le fossilisé » et enfin, « Dénaturer l’art ». Soit, l’association du bois et de la résine pour des pièces jouant en duo, l’incongruité de poissons pétrifiés en mètre-étalons d’un insolite minimalisme et enfin les dernières œuvres, des plus débridées, s’égayant du mensonge des couleurs et les ultimes, tutoyant les matériaux industriels et s’appropriant même les machines. Ce tout fait de ce travail une œuvre assurément originale et d’une géniale liberté.

 

À n’y rien comprendre, disait-on, et c’est vrai. Tout de la rencontre de l’œuvre réside dans une expérience sensible, physique même. Et là, hic sur hic. Comment la traverser, tourner autour, s’y mesurer, dans un contraignant parcours de supermarché balisé entre adhésifs au sol, plateformes-socles oblongues telles têtes de gondole et sous le regard des nombreux gardiens, les sculptures étant autant gardiennés que nous le sommes en visiteurs ? Nous voilà fort éloignés de la liberté que s’autorisa l’artiste dans sa pratique, sa posture et sa vision.
Le paradoxe du projet, donner à voir et priver d’expérimenter, peut s’expliquer par le manque de place allié à la générosité de la quantité de pièces choisies et exposées et comment trouver alors une juste scénographie ?
La réponse apportée est celle d’une muséographie du siècle dernier, alambiquée, envahissante, usant de courbes artificielles redondantes alors que le travail de Toni Grand ne nécessite aucun display spécifique, juste à même le sol s’accorder tout l’espace nécessaire. Bref, manquent plus de 1000 m². La chose, souvent heureusement pensée en termes de confrontation dans les lieux d’art contemporain va à l’encontre de la contemplation passive offerte par les musées des beaux-arts. Histoire d’époques et affaire de générations. Frustration pour qui connait le travail de l’artiste et ratage de la rencontre pour qui espérait le découvrir pleinement. Ceci dit, connecté aux œuvres, il faut y aller et même y retourner !

 

Jean-Paul Guarino

 

 

 

Musée Fabre – Montpellier (34)
Morceaux d’une chose possible
Toni Grand
20 janvier – 5 mai 2024

À noter, un cycle de conférences autour de l’œuvre de Toni Grand menées par Maud Marron-Wojewodzki, conservatrice du patrimoine au musée Fabre et commissaire de l’exposition.
Mardi 12 mars : Nature et sculpture : le bois et le végétal dans l’art contemporain
Mardi 19 mars : La ruine contre le monument : une autre idée de la sculpture des années 1960 à nos jours
Mardi 26 mars : Au cœur de la sculpture contemporaine : le vivant
Auditorium du musée, 18h30 – Entrée libre dans la limite des places disponibles