Une gardianne, Lambert, Les Hivernales et les filles à Avignon – Jean-Paul Guarino

 

 

Les ragazze, rien d’ambigu of course. Juste l’aller-retour avec Rita et direct au so cute appartement de Gina, à peine arrivés à Avignon. Comme à son habitude, Gina s’était mise aux fourneaux dès la veille pour nous concocter un sage mais pensé déjeuner. Une succulente gardianne, même si elle était de bœuf, nous attendait donc, suivie d’un pudding de « graines » et fruits rouges. Nous étions venus pour ça mais pour la Collection Lambert également.

 

 

 

Depuis 2004, l’Association pour la diffusion internationale de l’art français – ADIAF – organise une exposition triennale intitulée « De leur temps » qui présente une sélection des dernières acquisitions des collectionneurs français membres de l’association.
Pour cette nouvelle édition, « De leur temps » – présentée donc à La Collection Lambert et ce, jusqu’au 15 mars 2020 – prend une nouvelle forme puisqu’elle plonge au cœur des acquisitions réalisées non pas seulement au cours des trois dernières années, comme les éditions précédentes, mais depuis le début du XXIe siècle, soit presque vingt ans d’acquisitions, présentant ainsi pas moins de 182 œuvres prêtées par 77 collectionneurs.

On pourrait dire que l’exposition explore largement toutes les pratiques artistiques de ce début de siècle et qu’elle dévoilerait aussi l’audace, la clairvoyance et la passion à l’œuvre chez les amoureux de l’art de leur temps, montrant ce que peut être collectionner en France au XXIe siècle. Ça c’est ce qui est annoncé.

L’exposition ne dit pas grand-chose en fait. Mais se devrait-elle de dire quoi que ce soit. On oublie vite tout propos, présent ou pas, passant de salle en salle et d’œuvre en œuvre comme au sein de toute collection de particulier ou de Frac mais déficitaire de toute dimension muséale. Si nous flirtons souvent avec l’actualité nous ne rencontrons que bien peu l’Histoire. Et ce n’est pas grave, cela serait même plutôt plaisant.

 

 

 

Nombre de pièces font images, souvent faciles et aussi convenues qu’un clin d’œil voire un bon coup de coude en guise de private joke. Collectionner est une chose, collectionner les bonnes pièces en est une autre.
Nous avons été évidemment plus sensibles aux quelques œuvres plus nuancées à l’instar de la vidéo de Edith Dekyndt ou du Palimpseste de Marianne Mispelaëre et témoins de la rigueur de quelques rares collectionneurs au regard plus qu’avisé.

Le regard travaillé de Daniel Bosser, déployé dans une salle entière, montrant, entre autres, une pièce de Raphaël Zarka que nous retrouvions après l’avoir vue en 2003 à Vasistas à Montpellier…

Le regard singulier, et la chose est reconnue depuis de nombreuses années, d’Antoine de Galbert qui a prêté une « cathédrale » de A.C.M.

Et enfin l’infatigable regard du collectionneur par excellence qu’est toujours Yvon Lambert qui, maître des lieux, s’invite dans l’exposition et présente une série d’œuvres justes et des plus délicates de David Horvitz.

 

 

 

En réponse à Stéphane Ibars – commissaire de l’exposition et responsable de la programmation artistique de la CollectionYvon Lambert s’expliquait : « Je trouvais très intéressant de faire partie du projet et de montrer que même si j’avais donné une grande partie de ma collection, je continue à regarder l’art de mon temps et à soutenir des artistes. J’ai donc proposé de produire pour l’exposition des œuvres d’un jeune artiste que j’aime particulièrement – David Horvitz.
Il s’agit d’une pièce de néon intitulée Whenever I take a shower I always wonder when the water was a cloud, d’une installation faite de dizaines de bouteilles d’eau achetées et remplies à Avignon, Imagined Clouds, et d’un portrait de moi réalisé à partir de pots de fleurs usagés, remplis d’une masse de terre correspondant à mon poids et dans lesquels ont été planté des graines qui donneront plus tard naissance à des fleurs. »

De belles pièces assurément.

 

 

 

 

Après une brève pause au bistro du coin pour reposer nos lombaires, nous voilà de retour en fin d’après-midi à la Collection qui accueillait un des spectacles des « Hivernales », festival de danse contemporaine du CDCN – Centre de Développement Chorégraphique National – d’Avignon, les « Shadowpieces » de Cindy Van Acker, en l’occurrence.
Inutile de paraphraser, lisons ce que la chorégraphe, clairement, écrit.

« Shadowpieces » englobe la création de onze soli d’ici mai 2020, avec les interprètes qui participeront à la création « Without References », prévue pour novembre 2020. Au cœur de cette traversée de soli d’une dizaine de minutes chacun, il y a l’idée de travailler très intimement avec chaque interprète.
Le format solo permet un dialogue plus étroit entre les protagonistes, un travail quotidien nourri de profondeur, d’intimité, d’empathie. Dans le processus de création, je laisse à chacun une grande part de liberté au moment de la recherche en studio : c’est le danseur qui choisit sa musique, dans un réservoir de morceaux, une certaine anthologie de la musique, qui compte autant des pièces électroniques que de titres instrumentaux tout en traversant le siècle passé. Chaque solo est écrit sur mesure pour l’interprète, en fonction de ses qualités de mouvement, de ses morphologies, de ses sensibilités et dynamismes, de ce qui le préoccupe aujourd’hui.
Les soli de « 
Shadowpieces » sont des objets en soi, ayant pour but d’identifier la couleur, l’énergie, l’expressivité de chaque danseur. 

 

 

 

Ce soir-là donc, 4 soli, 4 portraits, 4 artistes au sein de la Collection, chacun dans son espace.
13 minutes de quelque chose de la statuaire, entre tension et équilibre, composent le premier solo, magistralement interprété par Daniela Zaghini. Ça semble frôler le lyrisme puis les doigts, jusque-là raidis, deviennent outils d’expressionnisme. Quelque chose aussi des années 50 où Cocteau pourrait se reconnaître. C’est tout ça et bien sûr, tout autre chose. Le propre même de l’allégorie. C’est hyper technique et nous paraît splendidement simple. On ne la lâche pas des yeux, on veut la sentir au mieux, tout ressentir. Pas commun !
Puisque déambulation il y a, déambulons.
Au tour de Yuta Ishikawa, extrêmement concentré, de prendre ses marques dans une boîte à musique « tapissée » de Sol LeWitt ; les wall drawings s’inscrivant alors dans une urbanité des plus actuelles au-delà de leur habituelle intemporalité. Nous avons partagé, et savouré, 7 minutes durant, tant la délicatesse du danseur que sa puissance justement mesurée. Une véritable adhésion alors.
Changement de salle et nouvelle interprète.
La musique des mots, même quand on ne les entend pas car contenus, c’est chiant. Surtout quand elle est accompagnée d’un théâtral regard spectateur Gigi dis c’est toi là-bas dans le noir. Insupportable. Ça veut conter ou raconter alors qu’on n’a ni besoin ni envie d’histoires. Mes lombaires sont les pires des critiques. Plein le dos. Rideau.
Le quatrième solo je l’écoutais alors, de loin, redescendu des étages, assis sur la banquette de l’accueil. C’est bien aussi comme ça, une soirée au musée avec des notes flottantes de Bach.

 

Jean-Paul Guarino