Un dimanche comme les autres – Montpellier Danse 2022

 

Passer de la retenue et du silence à l’exubérance, c’est la loi du genre liée aux festivals.

« An Evening with Raimund » est un hommage plus qu’un spectacle, collage de moments emblématiques puisés dans l’œuvre de Raimund Hoghe, ce chorégraphe, disparu l’an dernier, accompagné fidèlement, le long de sa carrière, par Jean-Paul Montanari et le festival montpelliérain. L’hommage fut bien rendu, les longs applaudissements en témoignaient, ce soir du dimanche 26 juin au Théâtre des 13 Vents.

 

Moins d’une heure après, changement de lieu – Opéra Comédie – et changement d’ambiance, c’est le moins que l’on puisse dire.

Sur scène, 6 danseurs, issus de « Moving Into Dance Mophatong » – une des premières compagnies de danse africaine contemporaine d’Afrique du Sud –, un duo de musiciens, « uKhoiKhoi », et une voix, insensée, puissante et colorée, celle d’Anelisa Stuurman, le tout sous la houlette de la chorégraphe Robin Orlin.

On lit sur la feuille de salle « Cette nouvelle pièce se fonde sur le souvenir des rickshaws zoulous (taxis-vélos) que Robyn Orlin a pu voir durant son enfance en Afrique du Sud, alors encore sous le joug sinistre de l’apartheid. Rivalisant de souplesse et de rapidité tout en redoublant d’inventivité pour personnaliser leurs véhicules et leurs tenues vestimentaires, les conducteurs de ces rickshaws lui « semblaient danser, le corps suspendu dans les airs. » Conçu comme un hommage à ces flamboyants acrobates de la rue, la pièce s’attache aussi, et surtout, à dévoiler l’envers du décor et, par voie de conséquence, à creuser la question du colonialisme, récurrente dans l’œuvre de Robyn Orlin. »

J’entends parler de comédie musicale autour de moi. Que nenni, nous voilà immergé, au-delà d’un concert, dans un clip musical, royaume creux de l’imagerie, avec la débauche d’effets visuels que le numérique permet. Aucun sur scène jamais ne nous regarde, tous les yeux des interprètes n’en ayant que pour les caméras qui filment en live et qui nous renvoient, exhibés sur maxi écran frontal soit des gros plans de « noirs », tout sourire, soit en plan large, des jeunes « qui ont la danse dans le sang ». Mais oui, c’est ce que j’ai vu, les immondes clichés d’une Afrique plus noircie que jamais et ovationnés comme toujours. Comme l’on ne peut douter de l’engagement politique de Robin Orlin, on se questionne alors sur l’écart de réception d’une telle représentation, d’un continent à l’autre, d’une Histoire à l’autre et la chose est, pour le moins, déstabilisante.

Ne jouons surtout pas au juge suprême, et l’instant fugace où les interprètes, entre deux tableaux, sont en contre-jour, l’envie me prend de revisionner le fameux « More Sweetly Play the Dance » de William Kentridge.

Né en 1955 en Afrique du Sud, ce plasticien issu d’une formation en sciences politiques manipule le dessin et la narration à travers des réalisations qu’il installe et scénographie dans des dispositifs multimédia, son œuvre évoquant la société et son évolution politique à travers des notions souvent autobiographiques.

Dans « More Sweetly Play the Dance », œuvre de 2015, William Kentridge encercle les spectateurs dans une parade de personnages, en boucle et peut-être sans fin. Procession dansante, la frise longue de près de 40 mètres d’images et de son en mouvement nous invite à suivre une danse macabre tout en nous donnant l’occasion de réfléchir aux notions d’injustice et d’inhumanité.

 

We wear our wheels with pride…
Robyn Orlin
Opéra Comédie – Montpellier
samedi 25 et dimanche 26 juin

Une pièce de Robyn Orlin
Avec les danseurs de Moving Into Dance Mophatong : Sunnyboy Motau, Oscar Buthelezi, Eugene Mashiane, Lesego Dihemo, Sbusiso Gumede et Teboho Letele
Vidéo : Eric Perroys
Costumes : Birgit Neppl
Lumière : Romain de Lagarde
Musique originale : UkhoiKhoi avec Yogin Sullaphen et Anelisa Stuurman

 

Jean-Paul Guarino