Top 3 des expositions estivales 2015 en Languedoc-Roussillon – Jean-Paul Guarino

Formes biographiques à Carré d’Art à Nîmes

Formes biographiques à Carré d’Art de Nîmes prolonge l’exposition Formas biográficas  présentée au musée Reina Sofia de Madrid en 2013-2014. L’exposition de Madrid déployait un panorama des expériences et expérimentations biographiques dans l’histoire de l’art moderne. L’exposition de Nîmes est centrée sur la période contemporaine et rassemble des œuvres réalisées principalement depuis la fin des années 1950 et, dans une large proportion, inédites et jamais vues en France.

En une soixantaine d’œuvres de tous types, l’exposition interroge le modèle constructif de la biographie, tel qu’il est mis en œuvre dans l’activité artistique, à partir d’éléments documentaires et/ou fictifs. La forme biographique ne se réduit pas au récit véridique, fondé sur des faits attestés ; elle peut être une manière d’interpréter et de changer l’histoire, vécue ou en cours.

 

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On l’aura compris, Jean-François Chevrier le commissaire, comme à son habitude, déploie une pensée solide. Celle-ci, doublée d’une approche scientifique, est néanmoins paradoxalement teintée de subjectivité ou plus exactement de « logique poétique » comme il le dit lui-même en s’expliquant sur la construction de son exposition. Le visiteur peut s’autoriser sa propre subjectivité et, la « thèse », devenant découverte, est tout aussi intéressante de par la qualité des nombreuses pièces à approcher. Mais si l’on veut suivre précisément le déroulé de la démonstration, médiateurs et documents sont présents pour nous assister et nous dévoiler alors tout le poids et la profondeur de chacune des œuvres jusqu’à nous en révéler l’émotion contenue. On pense alors à la délicate attention de Madeleine Bernardin Sabri, aux dessins et sculptures de Peter Friedl et à l’étonnant et poignant film « Au bout du petit matin » de Laure Bréaud qui termine la visite.

Une fois encore, Jean-Marc Prévost, solide (lui aussi) directeur de Carré d’Art nous aura surpris par le choix de l’invitation faite à Jean-François Chevrier de poursuivre son travail, par l’accrochage composé de grand nombre de petits et moyens formats – qui détrônent les formats dits muséaux mais surtout convenus pour qui ne ferait autorité que par des dimensions – et qui font de cette exposition une proposition plus riche et audacieuse qu’il n’y paraît pour qui la traverserait en touriste vérificateur de formes. Plus que jamais, toute l’attention portée sera récompensée. Un plaisir, quoi !

 

Carré d’Art – Nîmes (30)
Formes autobiographiques
Œuvres de Chantal Akerman, Carl Andre, Madeleine Bernardin Sabri, Laure Bréaud, Marcel Broodthaers, Lygia Clark, André du Colombier, Étienne-Martin, VALIE EXPORT, Robert Filliou, Florian Fouché, Peter Friedl, Philip Guston/Clark Coolidge, Martin Honert, Edward Krasinski/Eustachy Kossakowski, David Lamelas, Antonios Loupassis, Kerry James Marshall, Santu Mofokeng, Gérard de Nerval, Henrik Olesen, Marc Pataut, Sigmar Polke, Dieter Roth, Anne-Marie Schneider, Ahlam Shibli, Thomas Schütte, Claire Tenu
Commissariat de Jean-François Chevrier assisté d’Élia Pijollet
jusqu’au 20 septembre 2015

 

 

 

Fabrice Hyber au Crac à Sète

1 – 1 = 2. La devise de l’artiste, dessinée sur la façade du Centre d’art contemporain de Sète.
1,74 m. Sa taille et référence pour l’accrochage des près de 300 tableaux alignés sur les 2716,43795 mde cimaises du Crac, surface de présentation et titre éponyme de l’exposition monographique de son œuvre peint, à voir jusqu’au 20 septembre.
Voilà pour les chiffres ou presque, une fois ajouté que le 1er tableau se nomme le Mètre carré de rouge à lèvres et date de 1981.
Chiffres ou nombres ?  Toujours est-il que « Les mathématiques » sont une science qui étudie par le moyen du raisonnement déductif les propriétés d’êtres abstraits ainsi que les relations qui s’établissent entre eux et qui nourrit, entre autres, les neurones de Fabrice Hyber.

 

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S’il est dit que « la structure anti-hiérarchique de la pensée, des comportements et des relations explorées par l’artiste interroge la définition de rhizome chère à Gilles Deleuze et Félix Guattari », le 1 – 1 = 2, vrai titre programmatique – écrit sur la façade et de la main de l’artiste – est autrement plus pertinent, de par sa dimension lacanienne, pour tenter de savoir qu’est-ce et que faire de ce « Tout ». N’est-ce pas Patricia ? Ou encore L’inconscient structuré comme un langage.

 

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Avant d’entrer dans la première salle, sur la largeur du porche d’accès, d’un côté, un indice : le dessin, singeant ce que communément on lit comme un encéphalogramme, débute la ligne qui sera conductrice. De l’autre, est écrit 1,74 m : la taille de l’artiste mais aussi la hauteur du milieu de l’image de tous les tableaux accrochés. L’accrochage est donc plus haut qu’à l’accoutumée mais surtout à hauteur de cerveau.
Le plan fourni à l’accueil confirme la chose : si le parcours est linéaire, la ligne ne sera pas droite pour autant mais épousera celui de circonvolutions, cérébrales bien sûr. Tout est pensé, des passerelles jusqu’à l’esprit d’escalier. Une vraie jubilation.

 

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Hyber nomme ses toiles tableaux et non peintures. Si leur composition, souvent inventive, est toujours juste, il est vrai que, arrivé en fin de visite, la volonté de l’artiste – à force de signes, mots et symboles – de ne pas vouloir être évalué picturalement l’a emporté. Les autoportraits nous laisseront même la tête dans le cul et si la résine epoxy fixe les idées, elle fait aussi barrage à toute pénétration. Nous resterons donc à distance mais dans une contemplation confortable, une fois abandonnée la curiosité du déchiffrage.

 

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Le vert – mélange du jaune et bleu – donnent à eux trois la tonalité des toiles recouvertes alors que le rouge, sa complémentaire, qui débutait le parcours, le termine aussi. L’ellipse est bouclée.

 

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L’immersion dans toutes les généreuses synapses dévoilées, même stomacales, de cette exposition « raisonnée » ne nous délivre pas pour autant la chimie nécessaire à la synthèse.
Elle appartient à l’artiste seul. À l’homme, même.

 

Crac – Sète (34)
2716,43795 m2
Fabrice Hyber
Commissariat de Noëlle Tissier et Bernard Marcadé
jusqu’au 20 septembre 2015

 

 

 

Francisco Tropa au Mrac à Sérignan

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Francisco Tropa, TSAE (Trésors Submergés de l’Ancienne Égypte), vues de l’exposition, Mrac, Sérignan, 2015. Crédit : Jean-Christophe Lett

 

À dire vrai, si la remarquable exposition TSAE (Trésors Submergés de l’Ancienne Égypte) de Francisco Tropa trouve parfaitement toute sa place au rez-de-chaussée du Musée régional d’art contemporain à Sérignan, espérons qu’en suite à l’extension du musée – inauguration prévue début 2016 – un espace décent soit enfin dédié à un éventuel Project Room.
À l’étage, la proposition d’un commissariat formaliste post-bobo réunissant des pièces de Mariana Castillo Deball ne résiste pas à la force de l’univers que l’on vient de traverser et d’expérimenter. En effet, lorsque au rez-de-chaussée l’on pénètre l’espace investi par Francisco Tropa, on a le sentiment d’avoir descendu de longs et  labyrinthiques escaliers et de découvrir alors le tombeau insoupçonné et encore vierge de toute visite d’une civilisation parallèle. La suite de « l’excursion » confirmera la justesse de la scénographie, de la circulation et de l’occupation du lieu, pourtant peu facile à pratiquer.
« TSAE est une vaste installation qui prend la forme d’une expédition archéologique fictive, dont le visiteur arpenterait les traces éparses et qui nous évoque de multiples représentations du monde, qui vont de la Grèce antique aux idéaux modernistes. »
Ben oui, et en rien autoritaire même si le projet est complexe, car riche. Riche de citations ou de références mais qui toutes, dans chaque absidiole ou sur autels, sont invitations à rapprochement et où les sculptures – sans se priver de l’art retrouvé du geste – sont présentées telles des offrandes, et où, comme le dit l’artiste, « chacun peut y coller ses connaissances ».
Une intelligence singulière unie à un sensible personnel induisent une étrange étrangère évidence dans laquelle l’on baigne. Ou encore un récit proliférant, dont on ne peut ni ne veut imaginer une fin, mais avec en finalité l’écarquillement  toujours plus grand de notre regard tant sur l’existant que sur les apparitions à venir. Un vrai flirt avec la Création.

 

Mrac – Sérignan (34)
Monographie de Francisco Tropa – Commissariat de Sandra Patron
Monographie de Mariana Castillo Deball
Reto Pulfer dans le Cabinet d’arts graphiques
Hicham Berrada dans le Project Room
jusqu’au 30 août 2015

 

Jean-Paul Guarino