Sans-titre (à supposer que) – Mickaël Roy

 

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Si à toute histoire il est courant de donner un titre, qu’à cela ne tienne, il est même permis d’en jouer. Et si tant est qu’il soit vrai qu’une exposition s’emploie à livrer les éléments d’un récit, on pensera qu’Artaban aurait un lapin à moins qu’il en ait posé un. Avec un personnage et un attribut ainsi supposé, le décor serait a priori  planté et le récit subodoré.

L’on pensera peut-être à la figure méconnue du quatrième Roi mage et à son retard incommodant ou au calembour de Coluche, « Fier comme un bar-tabac », forgé sur le compte de l’étirement et de l’altération populaire du langage. C’est selon, c’est cela et autre chose à la fois et en fait c’est comme on voudra. Car ce que l’on croit n’est pas nécessairement ce que l’on voit et il se peut que face à l’imagerie, parfois drolatique, l’on se demande, grave, si l’image ment.

Et alors qu’il serait bien commode de pouvoir regarder Le lapin d’Artaban comme on traverse une fiction en s’attendant à y rencontrer les figures du générique que l’on nous promet, il faudra plutôt compter sur l’abondance tantôt opacifiante tantôt éclairante des signes construits et manipulés par Patxi Bergé avec l’alibi de la gourmandise et de l’attention qu’il nourrit pour des artefacts saisis au gré de pérégrinations et transformés de loin en proche. « Où je suis et ce que j’en fais » annonce-t-il d’ailleurs en prologue à une démarche fondée sur un désir d’expérience qui l’amène à débusquer les indices d’une réalité rencontrée et perçue de façon fortuite ou recherchée de manière délibérée, toujours pour la dépasser.

L’esprit alerte, qui reçoit ou attrape le réel en fonction des circonstances, le mobilise, le fait se mouvoir et le modèle alors par un processus créatif jalonné de chaînons construits par analogies, en des figures de style de nature métonymique et allégorique. Ce qui était advient en effet dans un état autre par l’intermédiaire de glissements plastiques et sémantiques : chaque forme de terre et de papier et chaque image vient ainsi à exister pour le sens commun en se chargeant d’une épaisseur de signification en mesure d’être partagée collectivement. L’interprétation se construit en effet d’autant mieux que la reconnaissance est permise.

Il en est ainsi de Lola, monument de papier mâché tout sourire issu de la réduction symbolique d’un dolomite rencontré sur une merveille de carte postale où la main de l’homme l’a traité par une expression anthropomorphe, traduction s’il en est de cette obsession que l’homme a de donner à la nature un masque à son effigie, quitte à frôler la caricature. Ici, ce visage de carnaval devient la tête de gondole d’un cortège de personnages aussi drôles que désœuvrés.
Le porteur anonyme et ignoré de Tour Eiffel miniatures, les jambes arquées comme celles dont il vend des reproductions, est de ceux-là. Etre là et témoigner en ajoutant son regard parmi ceux qui se détournent ou cohabitent c’est aussi le sens d’une démarche qui joue de l’autorisation que l’artiste se donne d’ajouter des images durables à l’impermanence des situations qu’il ne fait que traverser.

Ce faisant, de l’étant-donné et de l’anecdote de départ, l’artiste les déplace dans l’espace du visible et les amène à exister hors des sentiers battus d’un schéma narratif linéaire pour installer des déviations heureuses, travaillées en supplément de celles qui au cœur de sa pratique visuelle et matiériste procèdent de la lecture de situations appelées à devenir par déplacement polysémique, matières-images et matières-objets possiblement cornues, somme toute, absurdes. En cela, Patxi Bergé sait se frotter avec une feinte idiotie à la compréhension de situations de vie improbables et loufoques.
Aussi sérieux que constant dans la trajectoire qu’il ouvre en construisant des écarts entre ce que l’on croit voir et ce qui est donné à voir, il habite résolument une fonction : c’est en effet par le pouvoir de la translation et de la traduction du langage du monde concret au langage du monde imagé qu’il met en œuvre, que la fiction s’installe lorsque les rôles et les masques composant un certain corps social sont montrés dans le dénuement de leur étrangeté. A l’image de Cendrillon et de son téléphone portable. Et lorsque le réel singe ce désir de fiction, il s’agit encore de décrire les effets d’un déplacement sur l’échelle des valeurs en considérant la distance entre ce que la société produit d’artifices et de cocasseries et ce que l’œuvre d’art en fait de commentaires.

In fine, de l’espace public à l’atelier et jusqu’à l’exposition, tout ce qui demeure est le résultat d’une acuité de conscience de l’ici-même. A l’instar d’Artaban, Patxi Bergé, par une attention accrue au présent, déjoue autant que faire se peut le risque des actes manqués qu’impose parfois le quotidien. Et somme toute, c’est en rencontrant les matières sommaires d’un monde qui l’étonne, que l’art sait mobiliser les qualités de l’ordinaire en valeurs ajoutées.

Mickaël Roy

 

 

 

 

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Galerie Vasistas, Montpellier (34)
Le lapin d’Artaban
Patxi Bergé
jusqu’au 11 juillet 2015