Rigueur et beauté construite à Carré d’Art, Nîmes (30)

 

Au niveau 2 de Carré d’Art à Nîmes, après une longue période d’envahissement débridé, c’est un grand plaisir que de retrouver à l’œuvre la beauté construite et la rigueur de Jean-Marc Prévost, son directeur.
L’étage est consacré à un nouvel accrochage de la collection du musée, des récentes acquisitions en l’occurrence – Un Monde Commun – ainsi qu’une donation des plus singulières – Le Musée des Anges de Lena Vandray.

 

« Lena Vandrey est née en 1941 à Breslau en Allemagne, devenu Wroclaw en Pologne après 1945. En 1958, elle s’installe à Paris puis près de Barjac en 1967. Décédée en 2018, elle vivait à Bourg Saint Andéol en Ardèche où elle avait pensé avec sa compagne le Musée des Anges.
Amie de Monique Wittig et Niki de Saint Phalle, collectionnée par Dubuffet qui la surnommait Insomnia, mannequin pour Ungaro, Lena Vandrey fait partie des figures singulières de l’art. Dès 1970, elle expose peintures et sculptures en France, en Allemagne et en Suisse et publie des poèmes. Marquée par la guerre, toute son œuvre témoigne de son désir de faire réparation. Réparer les manquements de l’histoire patriarcale. Anges, rêves, paradis définissent une interprétation cosmique du monde. »

Des échanges réguliers entre Jean-Marc Prévost et la compagne de l’artiste, Mina Noubadji-Huttenlocher, ont permis de concrétiser la donation. Ainsi les 4 ensembles d’œuvres sélectionnés sont ici exposés : Les Anges, les Rêves, la série des Cut-out et les Paradis.

 

 

 

 

En suite à cette superbe exposition-hommage, et sans détours, des acquisitions récentes entrées dans la collection du musée – dont nombre sont le fait de dons soit de la part d’artistes, de collectionneurs ou de l’AAMAC, l’Association des Amis du Musée – sont présentées dans un nouvel accrochage.

Un regard particulier a été porté sur des artistes dont les propositions font écho aux interrogations contemporaines avec, comme très souvent, et c’est ce qu’affectionne Jean-Marc Prévost, une dimension politique mais poétique aussi, et dans le bon et juste sens. Si ces artistes viennent de différentes parties du monde, ils entretiennent tous un rapport au présent, tout en ouvrant des horizons permettant la construction d’un espace commun, d’où le titre choisi pour cette présentation : « Un Monde Commun ». On notera que ces préoccupations sont actuellement partagées, sous un autre angle, à La Bourse de Commerce à Paris où vient de débuter l’exposition « Le monde comme il va » qui dresse le portrait de notre époque et de ses paradoxes à travers le regard de 30 artistes de la Collection Pinault. Il n’y a pas de hasard ou alors bien heureux.

 


3 salles témoignent de ces engagements tant politiques qu’artistiques.

À travers la sculpture, l’installation et la vidéo les œuvres de Jumana Manna interrogent les idées de communauté, d’intimité et de modernité.

« L’installation Cache (Insurance policy) juxtapose deux formes de stockages. Les sculptures en argile s’inspirent directement de khabyas, grenier à grains traditionnels des régions du Proche-Orient, nous rappelant des pratiques ancestrales et les urgences écologiques et l’artiste les réinterprète et les mue en formes anthropomorphiques et colorées. La majorité de ces sculptures sont présentées sur des rayonnages métalliques, ces grilles standardisées pouvant être utilisées pour du stockage industriel, des chambres fortes ou des collections muséales.
Si Jumana Manna s’intéresse au stockage comme forme de conservation, la police d’assurance – Insurance policy – dont il est question, associe deux logiques à petite et grande échelle. Le stockage qui assure la subsistance, pour préserver une petite communauté rurale, et la sauvegarde de la biodiversité, un enjeu de survie pour faire face à l’ère anthropocène, cette nouvelle ère géologique où l’impact de l’activité humaine devient le facteur principal de changements sur la planète. »

 

Artiste et réalisateur, Clemens von Wedemeyer crée des films et des installations. Entre réalité et fiction, archives et recréations numériques, ses œuvres révèlent les structures de pouvoir en jeu dans l’histoire, l’architecture et la société.

« En 1989 en Allemagne, des marches pacifiques réunissaient chaque lundi, sous le slogan ‘’nous sommes le peuple’’, des milliers de manifestants. Moment clé dans l’histoire du pays, les Montagsdemonstrationen (manifestations du lundi) ont contribué à l’effondrement du régime de la RDA. Clemens von Wedemeyer reconstitue ce moment historique à l’ère de l’intelligence artificielle, du capitalisme de surveillance et de la modélisation des comportements humains au travers de « 70.001 », pièce qui fait référence à la manifestation du 9 octobre 1989 à Leipzig. L’animation générée par ordinateur simule une foule digitale d’agents numériques qui grossit de manière exponentielle devenant une imposante masse automatisée. Document d’époque, le son diffusé provient d’enregistrements clandestins réalisés par le journaliste dissident Aram Radomski. La vidéo se complète avec « Images and Networks », 16 panneaux qui connectent des images d’actualité avec le livre Masse et puissance d’Elias Canetti. Dans ce livre de 1960, l’écrivain analyse les manières dont la masse, en tant que forme collective de la condition humaine, existe et comment sa puissance est surveillée et contrôlée. L’artiste réactualise les thèses de l’auteur dans cet essai visuel qui aborde la représentation des foules, des violences et les tensions sans cesse renouvelées entre individu, masse et contrôle. »

 


Between Bridges est une fondation humaniste et solidaire, créée en 2017 par Wolfgang Tillmans, qui milite pour la démocratie, l’antiracisme, les droits LGBTQ+ et l’art.

« En pleine restrictions COVID, d’avril à août 2020, la fondation met en vente 50 affiches, de 50 artistes, à 50 € chaque. Elle prend en charge frais de port et d’impression afin que la totalité de l’argent soutienne les espaces culturels et sociaux indépendants menacés par les fermetures. Comme souvent chez Wolfgang Tillmans, son action allie geste artistique et engagement politique. Parmi les 50 propositions, le conservateur de Carré d’Art et l’AAMAC – Association des Amis du Musée – ont choisi une vingtaine d’affiches, soit une sélection en forme de clin d’œil à des artistes liés au musée, tels Anne Imhof, Christopher Wool, Glenn Ligon et Wolfgang Tillmans mais aussi et entre autres Marlene Dumas, Thomas Ruff, Pierre Huygue, Isa Genzken, James Welling, William Eggleston, Thomas Struth, Andreas Gursky, Jeff Koons, Anri Sala. Cette collection est présentée pour la première fois comme œuvre à part entière. »

 


À notre goût, sont aussi montrés, entre autres, un important ensemble de pièces de Guillaume Leblon, dons de la galerie Jocelyn Wolff ou encore 5 « Découpages » de Rayyane Tabet et dans la dernière salle où la figure apparaît enfin mais pour mieux disparaître, « Crossing », un masque, don de Tarik Kiswanson, des portraits brodés de Mounira Al Solh, « Lesson LXXV », l’installation vidéo de Martine Syms qui travaille le blackness – ‘’l’état noir’’ – et une série de papiers découpés jouant de l’ambiguïté de l’identité, « Against the Stencil », de Sylvain Fraysse, don conjoint de l’AAMAC et de l’artiste.
L’étage dans son entier propose définitivement un parcours constitué de très belles pièces formant un ensemble des plus cohérents, emblématique de la constante qualité travaillée au sein de ce musée. Une fois de plus, une formidable visite.

Quant à l’étage supérieur – niveau 3 –, non plus sous la houlette de Jean-Marc Prévost mais du duo de commissaires Anna Labouze & Keimis Henni, nous n’y aurons pas vu les plus réussies des propositions pensées dans le cadre de la 1ére édition de la triennale « La Contemporaine de Nîmes », manifestation populaire qui a pour but, atteint dès les premiers jours, d’inscrire pleinement l’art contemporain dans la cité et cela tout à l’honneur de Sophie Roulle, la très résolue adjointe à la culture de la Ville. En revanche, à titre d’exemple, dans la Chapelle des Jésuites « Millennials », le récit filmique d’anticipation écologique de June Balthazard, entre en parfaite résonance avec « la Noble Pastorale », superbe tapisserie de Suzanne Husky et avec une ‘’cabane refuge’’ réalisée par cette même artiste avec la participation des étudiants de l’Esban – École supérieure des beaux-arts de Nîmes. Mais ça c’est une autre histoire.

 

Jean-Paul Guarino

 

 

 

Carré d’Art – Musée d’art contemporain, Nîmes (30)
Donation Lena VandreyLe Musée des Anges
Collection – Un Monde Commun
jusqu’au 31 janvier 2025