Premières journées de Montpellier Danse 2016 – Jean-Paul Guarino

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On aura vu trois œuvres qui font fi de la catégorisation travaillée par Jean-Paul Montanari, certes utile pour construire en amont une programmation, en l’occurrence celle de la 36ème édition du festival. D’autant que les deux axes élus – grandes compagnies orphelines de leur mentor et la création en pays hostile – n’ont pas dû être des plus vendeurs.
La singularité, l’autonomie et la puissance des pièces montrées éclatent le cadre pensé.
En revanche, afin de ne pas laisser supposer que l’on aime à contredire Montanari, on ne peut qu’abonder en son sens lorsqu’il évoque la forme datée des festivals et autres manifestations et qu’il imagine un seul et Grand Festival de Montpellier, centré sur les œuvres et qui ne s’encombrerait plus du cloisonnement des différents champs artistiques, accueillant donc les formes libres du XXIe siècle et libérées du XXe. Montanari pense le temps, aussi faut-il mieux entendre son idée de « la fin de la danse contemporaine ».
La forme évoquée est celle née de ruptures liées à la naissance et au zénith des utopies. Chronologiquement parlant, ce temps est révolu et nous sommes d’accord pour aligner la fin de celles-ci avec les formes qu’elles engendrèrent. Ce que Montanari, comme tout le monde, ignore encore, c’est QUI est synchrone du mouvement continuel de notre planète qui tourne encore et toujours. Il n’y aura pas de manifestes et pas plus de déclarations péremptoires comme autrefois  pour repérer les individus – puisque plus de groupes et plus de mouvements – qui eux-mêmes ne se savent pas ou ne se sauront pas être les nouveaux Créateurs. La tâche donc aux pouvoirs responsables, en éveil, d’en être curieux et d’avoir la chance de les côtoyer et d’œuvrer ensemble. Un Grand Festival est une grande idée.

Oui, il fait bien de penser. Les chorégraphes pensent aussi, mais eux, leur présent.
Ils s’expriment aussi. Des conférences de presse très différentes, les mots choisis également et les intelligences aussi. Pour le meilleur mais pas que…

Alexandre Hamel et Pascale Jodoin animés d’une intuitive intelligence, parlent de désir, d’envie, de plaisir.
« C’est juste du patin » conclut humblement le patineur à propos de Patin Libre  et c’est vrai et c’est bien et ce n’est pas facile, sur glace, de faire autre que du patinage artistique  ou de la danse dite contemporaine rapportée au patin. Assis pour la première fois dans une patinoire, moi, spectateur, j’ai envie de voir de la danse mais avouons-le, je me laisserais volontiers embarquer vers le spectaculaire. Ces opiniâtres canadiens, eux, savent ce qu’ils veulent et travaillent le fil de leurs lames. C’est donc les crissements de ces patins, la glisse qu’ils autorisent et la jubilation qui s’échappe des regards que l’on découvre et partage.
Si de tout temps, le saut tente d’approcher l’ivresse du vol, la glisse fait pleinement planer.

Nacera Belaza ne badine pas avec les mots ; une intelligence qui s’exige l’exigence.
Qui peut précisément dire ce qu’il voit, ce qu’il pense, où il est et depuis quand, lorsqu’il finit par s’oublier, fasciné face à un feu.
Dès le début, après la juste durée du « noir » – le temps que notre pupille fasse les blancs  et se nettoie du réel – la captivante et très sophistiquée bande-son démarre avant que la braise n’entre-luise les corps en flammes et flammèches de la chorégraphe et ses interprètes, s’échappant de l’âtre de sa pensée et nous magnétisant. « Sur le fil » est flamboyant.
Loin de bouder son plaisir, un bémol résiste. Une exigence outrancière pourrait fragiliser la réception de la pièce : in fine, les artistes viennent recueillir les applaudissements une fois, deux fois, trois fois, et chacune de ces fois, le visage consigné en masque figé. Seraient-ce les stigmates d’un moment vécu en « expérience » en interdisant alors le statut d’œuvre ?

Jacopo Godani, d’une militante intelligence qui se veut donc irréprochable et convaincant s’explique sur « la danse qui danse » : « Avec la tête et le corps, exploiter un potentiel exceptionnel pour en faire un objet exceptionnel ». Vous allez voir ce que vous allez voir aurait-il pu rajouter.
Le soir, sur scène, on a vu. Pas de scénographie ni décor, des costumes pigalliens  qui couvrent mais qui montrent tout, des lumières directionnelles pour éclairer ce qu’il a été décidé que l’on regarderait, la Dresden Frankfurt Dance Compagnie, non pas un ballet mais une armée, se déploie et s’exhibe aux ordres du maître et que je n’entende pas un souffle, vous respirerez dans les coulisses !
« La tête », on pensait aux neurones, non ? La tête c’est le trapèze, le splénius du cou et l’élévateur de la scapula. Et le corps n’est plus un corps. Que des ligaments, des articulations et tant et tant de muscles. Satanée autorité applaudie par le public dans la même salle où l’on avait découvert l’épatant « Kammer/Kammer » de Forsythe et où là, ce même public quittait la salle et abandonnait l’œuvre.
Au Corum la foule se déplace pour le show ou l’exploit et les ovationne. L’œuvre ne suffit pas à remplir et satisfaire la salle. Obligation désormais du chef d’œuvre, mais rare, si l’on espère réunir tous les mondes.
On se souvient alors de « Dance » de Lucinda Childs et plus récemment d’ « Einstein on the Beach ».

 

Jean-Paul Guarino