« Le travail de Pierre Bismuth s’inscrit dans l’héritage de l’art conceptuel dont il actualise certaines stratégies. De l’utilisation du langage à l’usage de ready-made ou de protocoles d’exécutions, jusqu’à la recherche quasi-scientifique d’une méthode d’analyse critique des formes contemporaines de la culture, l’artiste cherche à étendre et à adapter le potentiel critique de l’appareil conceptuel aux conditions changeantes de la société contemporaine et de l’art.
Ses œuvres sont le reflet de cette lucidité et n’ont qu’un but : redonner à l’activité humaine tout son potentiel. Les pièces qu’il crée sont des prétextes à la ré-initialisation : en conférant aux éléments les plus familiers une opérativité nouvelle, Pierre Bismuth nous amène à devoir les assimiler à nouveau. » annonce Nicolas Jolly, commissaire de l’exposition.
On peut ajouter que des « stratégies » de l’art conceptuel, Pierre Bismuth affectionne notamment les gestes d’appropriation et de détournement. Deux autres éléments éclairent sa posture. Pierre Bismuth est né (à Paris) en 1963, ce qui peut en faire effectivement un héritier de l’art conceptuel mais allégé de ses dogmes premiers et obligatoirement aussi bercé par le versant désacralisant du pop art. Secondement, il vit à Bruxelles et, à l’encontre de l’ironie voire du cynisme français, la tendre belgitude l’amène à manipuler plus subtilement la malice…
Pierre Bismuth prolonge la narration de films cultes, tels La Ciociara et Casablanca – sur une image arrêtée – en donnant « traits » aux mouvements de la main droite de leur actrice, Sophia Loren et Ingrid Bergman.
Pour ce qui en est de la psychiatrie, il change de support – dessinant sur vidéo – et, passant rive gauche, suit la main gauche de Jacques Lacan.
Le dessin produit alors un portrait autoritaire et sans fards des accents péremptoires du Maître.
Gardons en tête le titre de l’exposition – Ce qui n’a jamais été / Ce qui pourrait être – qui témoigne de la potentialité des choses et des œuvres mais qui empêche la fixité du jugement des choses vues et, surtout, interdit toute priorité de l’une des formules sur l’autre.
Nous nous autoriserons néanmoins à attribuer des sous-titres aux pièces, à l’instar de Ce qui fait signe(s) à propos de Lacan, Ce qui éclaire l’inconnu (Coming Soon) ou encore Ce qui accueille pour mieux s’oublier (Cyclo).
Le racolage porte aussi son quota, à double tranchant, de potentialité.
Le Coming Soon, porteur d’inédit et donc d’espoir, des bandes-annonces du cinéma fictionnel est désamorcé par le cruel et déceptif néon, quand réintroduit dans la réalité.
Corps est donné à l’invisible dans la nouvelle série « Cyclo », initiée pour cette exposition.
Les studios de télé et cinéma sont ramenés à des dimensions sculpturales et chaque caisson – désœuvré de toute image – se retrouve nu comme un vert… d’incrustation.
Tout est dit, ici, au rez-de-chaussée, où Pierre Bismuth a conçu une nouvelle installation de la série « Quelque Chose en Moins, Quelque Chose en Plus », et où la dimension autorisée par le poids de l’œuvre de l’artiste prend emblématiquement forme(s).
Pierre Bismuth ne s’économise pas quant à sa part de travail à effectuer et offre, outre une enthousiasmante jubilation, une pleine place à l’intelligence de nos regards face à ses œuvres. Excepté au rez-de-chaussée et dans la salle des « Biopic » à l’étage, on pourra regretter de ne pouvoir être autant en alerte au sein de l’exposition, de par un accrochage un peu trop catalogué.
Jean-Paul Guarino
Pierre Bismuth
Ce qui n’a jamais été / Ce qui pourrait être
Commissariat : Nicolas Jolly
15 novembre 2014 – 22 février 2015
MRAC – Musée Régional d’Art Contemporain, Sérignan (34)