A la veille de l’ouverture du Festival Montpellier Danse 40 Bis, vendredi 18 septembre au soir, lors du vernissage de l’exposition « Occitan Riviera » de Laurent Goumarre et Sylvain Fraysse à la galerie Vasistas à Montpellier, il y avait du beau monde, tous protégés et la bouteille de gel y est passée. Comme au bon vieux temps !
Les prévisions météo pour le lendemain, soit soir de la première de la re-création de « So Schnell » de Dominique Bagouet, sont assurément catastrophiques. Certains diraient « Quand ça veut pas, ça veut pas » et ça, Jean-Paul Montanari ne le dit pas, bien au contraire, et quoi qu’il arrive et « quoi qu’il en coûte », cette pièce renaîtra, confiait-il, ou dans le Festival de l’année suivante ou au sein de la prochaine Saison.
Néanmoins ce soir-là, près des cimaises, la danse était déjà présente et outre l’historique directeur de l’Agora, la présidente de la compagnie de Salia Sanou et le président de la compagnie de David Wampach étaient ravis de retrouver Laurent Goumarre qui, souvenons-nous, avait accompagné Montpellier Danse quelques années, programmant la toute nouvelle et mal nommée « non-danse ».
Masqué ou démasqué, c’est au plus près des artistes que l’on côtoie la création.
L’orage fit bien des siennes le samedi, empêchant toute représentation, mais dimanche soir, le 20 septembre, en suite à une journée des plus estivales, le Festival 40 Ter débuta enfin.
S’il y a quelques mois encore, il était de bon ton de dire que les festivals étaient des formes du siècle dernier, cette soirée d’ouverture ou plus exactement cette simple première soirée nous amène à réfléchir à « ce qui fait festival ». Combien manquent les rencontres avec les artistes lors des conférences de presse du matin, devoir jouer des coudes pour obtenir la bonne place, la course pour aller de lieu en lieu car de spectacle en spectacle, entendre des langues que l’on ne parle pas, croiser des visages que l’on ne connaît pas, le cocktail d’après ou l’on peut dire et médire, jusqu’à cette chaleur même extrême quand elle nous sèche ! Oh oui, que vivent les festivals ! Et que trépasse cette paranoïa qui fait que, même masqués, certains ne veulent pas être photographiés, et bien dur aussi d’obtenir des confidences ou de glaner des bons mots cette année ! En tous les cas et en toute discrétion, je le dis à tous, je suis preneur.
Cela dit et dans le contexte qui est ce qu’il est, grand merci à Jean-Paul Montanari de n’avoir jamais abdiqué et de nous offrir à voir cette dizaine de spectacles à venir.
Donc, ce dimanche soir, 20 heures 30, ambiance Gala Karsenty de gros bourg, loin de toute international atmosphere, dans les gradins de l’Agora, même si Mathilde Monnier nous dit dîner le lendemain avec le Président de la République, pour « So Schnell 1990-2020 » par Catherine Legrand, re-création, 30 ans plus tard, du « So Schnell » de Dominque Bagouet.
Ce qui apparaît rapidement, dès le premier duo, est une écriture précise mais non rigide qui demande aux interprètes une performance au-delà de la technique, celle-ci supposée être maîtrisée, ce qui ne s’établit pas clairement.
Les « tableaux » s’enchaînent dans une dimension opératique dansée entre opéra-ballet et opéra-bouffe, soit suite d’entrées et intermèdes sans souci de dramaturgie. Celle-ci s’inscrit en fait par le biais de la composition lumineuse d’éclairages furieusement contemporains.
Les célèbres points de trame offset de Lichtenstein, ici gigantesquement agrandis, alternent la définition de l’espace comme du temps avec des aplats colorés non pas primaires mais acidulés. La référence à l’origine est intelligemment actualisée et les effets produits découpent et dessinent au mieux les corps, sobrement mais élégamment vêtus, et révélant ainsi un vrai langage des mains et tous les mouvements même les plus ténus. Tout pour la danse.
L’incontestable facilité d’écriture de Dominique Bagouet s’affirme et se confirme tout du long de la pièce, doublée du plaisir jusqu’à jubilation de composer. Ce véritable talent chorégraphique, au sens premier et seul sens du terme, l’emporte sur la raison, jusqu’à déraisonner voire nous enivrer, et peut-être sur la pensée, ce que nous pourrions regretter en tenant d’une danse savante.
Une idée de connivence, teintée de légèreté et d’humour, circule sur scène entre interprètes mais ne peut trouver d’écho auprès du chef, du patron ou du démiurge, au choix, celui-ci, en fait l’auteur, étant absent. Au-delà de l’absence des décors et costumes originaux, c’est bien celle du complice en chef qui fait défaut et qui court-circuiterait, jusqu’à handicaper, toute transmission.
Que la question de l’accès au répertoire, outre l’intérêt historique, soit bonne ou déplacée, rien n’empêche de dire, chose que je déteste entendre, qu’il y eut néanmoins de vrais beaux moments.
Re-création 30 ans après pour Bagouet, reprise 16 ans après cette fois-ci pour Raimund Hoghe et « Young People Old Voices » de 2004, resserré et revu, devenant cette année « Moments of Young People ».
Sur le superbe plateau du Kiasma de Castelnau-le-Lez, et sur le « Avec le temps » de Léo Ferré, Raimund Hoghe nous les présente, ces young people, les 12, les appelant par leur prénom, chacun à leur tour et avec toute bienveillance. Mais oui, où allons-nous ? bien, où vous le voulez. Et cela dure une magnifique bonne heure ou le double, on ne sait pas vraiment, suite de temps suspendus, les émotions nous embarquant et ne nous lâchant plus, jusqu’au bout, jusqu’à la fin, jusqu’aux larmes.
Evidemment 16 ans plus tard, il fallut refaire le casting, choisir, élire de nouveaux jeunes gens et, cette fois encore, on se prend en pleine poire l’arrogante beauté de l’innocence. Et lui, au milieu ou à côté ou en coulisses mais toujours là, toujours le même croit-on. Une présence autant qu’un corps, un petit bout d’allégorie. Un ange en fait ! C’est ça, un ange ! Et qui en aurait déjà vu pour ainsi me contredire ?
Après une re-création puis une reprise, c’est au tour d’une création 2020, mercredi soir au Studio Cunningham de l’Agora, d’être présentée – « WILDER SHORES » en l’occurrence – la toute dernière de Michèle Murray.
Nous ne parlerons pas de Twombly dont use Michèle Murray, dans la feuille de salle, pour nous renseigner sur sa posture d’auteure. Le titre de la pièce, indice de la petite cuisine interne de la créatrice, a dû surtout être choisi pour se doper, booster son écriture, creuser plus encore son exigeant sillon. Et ça marche ! Et d’entrée, quand le danseur est seul puis rejoint par un deuxième, puis une troisième et jusqu’à se retrouver à tournoyer à 7 sur le plateau ! 7 électrons libres, à moins qu’ils ne soient perdus, éclairés de la radicalité d’un blanc froid fait de blanc, de vert et de bleu, enveloppés d’un son profondément tellurique, si puissant que l’on n’entend ni leur souffle ni la rencontre avec le sol à la réception des nombreux sauts. Là encore, tout pour les silhouettes, tout pour les corps, tout pour la danse. Si dans cette « première partie », on a noté l’énergie et le charisme du petit Jimmy Somerville – Baptiste Menard en fait – lors de la « suite », le plateau baignant dans une atmosphère à la Flavin, purple, teinte dont raffolent les américains, un superbe duo de danseurs se révèle alors – Marie Leca et Alexandre Bachelard. Le purple ambiant se mue alors en un bleu cru, déshabillant un peu plus la chair et illuminant les perles de sueur. Toute la chorégraphie dira que ce n’est pas un duo, que ce n’est pas un couple non plus mais comment 1 + 1 font 1. Parce que c’était lui, parce que c’était elle. C’est beau.
Retour rapide à la réalité, juste pour nous rassurer ou nous consoler, en nous signifiant que d’autres rencontres, toutes les rencontres, sont possibles. C’est bien quand ça finit bien.
Jean-Paul Guarino
Et le Festival de continuer. À venir :
David Wampach & Aina Alegre. 3020
vendredi 2 et samedi 3 octobre à la Salle Molière de l’Opéra Comédie
Mathilde Monnier & Olivier Saillard. Défilé pour 27 chaussures
samedi 3, dimanche 4 et lundi 5 octobre à la Halle Tropisme
Emanuel Gat. Lovetrain 2020
samedi 3, lundi 5 et mardi 6 octobre à l’Opéra Comédie