Montpellier Danse 2023, séquence 2 – Dimitri, Ivan, Boris et moi

 

Jeudi 22 juin en fin d’après-midi

Une fois admis la sincérité engagée, les enjeux sociétaux, politiques et autres, reconnaissons l’indigence de la dimension artistique d’un bien pauvre objet.

 

 

Plutôt, une pensée aux fabuleux brésiliens des Dzi Croquettes. Aucune capture de leurs shows n’a survécu mais tentez de visionner le documentaire qui leur fut consacré, sorti en 2010.

À une époque lourde de censure et de répression, celle de la Dictature militaire au Brésil (1964-1985), les « Dzi Croquettes », une troupe de théâtre pas comme les autres, révolutionne radicalement le monde du spectacle. Intelligent, drôle, subversif, un groupe d’artistes et danseurs hors pair se déchaine sur scène, faisant foi d’une inaliénable liberté. Forcés à s’exiler à Paris, les inclassables Dzi Croquettes continuent à fasciner par leur mise en scène aussi délurée que construite où se mêlent androgynie, poésie et humour.

 

 

Jeudi 22 juin au soir

Mettre en corps, en chair et sur scène des textes, témoignages de « violences faites aux femmes », c’est l’idée première de la dernière pièce de Mathilde Monnier. Un seul, et le premier dit, d’entrée, avec toutes ses qualités, aurait eu bien plus d’impact. Néanmoins la construction de « Black Lights » est bien pensée et les huit interprètes se donnent généreusement. La très belle bande-son en dit plus que la danse qui, le temps s’écoulant, ne parvient pas à en prendre le dessus, contrainte aussi de sa dépendance au sujet, nous signifiant ainsi les limites de la transcription du sociétal en œuvre.

 

« Black Lights » (Création 2023)
D’après la série télévisée en ligne d’Arte H24 de Valérie Urrea et Nathalie Masduraud
Chorégraphie, mise en scène : Mathilde Monnier
Avec Isabel Abreu, Aïda Ben Hassine, Kaïsha Essiane, Lucia García Pulles, Mai-Júli Machado Nhapulo, Carolina Passos Sousa, Jone San Martin Astigarraga, Ophélie Ségala
Dramaturgie : Stéphane Bouquet
Scénographie : Annie Tolleter avec l’atelier Martine Andrée, Halle tropisme
Dramaturge lumière : Éric Wurtz
Son : Nicolas Houssin, Olivier Renouf

Pièce donnée le 22 et 23 juin au Théâtre de l’Agora

 

 

Vendredi 23 juin

Le matin, en conférence de presse, il est dit que si elle a la matière, lui détient la forme. Pour Danièle Desnoyers, la canadienne et Taoufiq Izeddiou, le marocain, tout semble très clair, limpide, la genèse comme l’approche, l’écriture et son processus, jusqu’à la création.
Le soir, sur le plateau et pour moi en salle, rien n’est moins sûr. Si les interprètes sont de qualité et la composition réfléchie, en revanche, à trop intellectualiser, trop d’intelligence bride l’intuition et à craindre d’être lourd, on s’inflige les interdictions du simple plaisir et la simple beauté.
Bien dommage.

 

« Montréal-Marrakech » (Création 2023)
Conception, chorégraphie : Danièle Desnoyers et Taoufiq Izeddiou
Avec Myriam Arseneault, Chourouk El Mahati, Abe Simon Mijnheer et Moad Haddadi
Musique : Ben Shemie
Lumière : Hugo Dalphond
Costumes : Danièle Desnoyers, en collaboration avec Marianne Thériault

Pièce donnée le 23, 24 et 25 juin au Studio Bagouet – Agora

 

 

 

Samedi 24 juin

Invités à une série d’ateliers préalables pour expérimenter ensemble différents états de corps, 57 habitants de Montpellier et sa région restituent dans l’espace public une performance collective créée pour eux et avec eux, d’après les principes de transe, d’exultation, de lenteur, d’infra-mince et de télépathie.

Chaque itération du « Slow Show » est unique. La première a eu lieu à Los Angeles en février 2019. Depuis, Dimitri Chamblas continue d’aller à la rencontre des individus de tous horizons, de développer la capacité citoyenne de la danse à habiter un territoire et à sortir de scène avec des formats accessibles au plus large public. « Slow Show » construit une communauté éphémère et composite qui laisse son empreinte dans les lieux qu’elle traverse, étire le temps et redessine l’espace commun.

En fin de matinée, me voici devant le parvis du Musée Fabre. Même si ce n’est pas le sujet, « Slow Show » n’étant pas une pièce in-situ, révèle néanmoins les lieux où elle se donne. Si elle augmente l’imposante masse figée qu’est la façade du Musée Fabre – où ça a rarement autant bougé – elle célèbre, dans l’après-midi pour la seconde séance, la pleine sérénité de l’Agora, ex-Couvent des Ursulines et, si le spectateur ralentit son regard, l’intervention ne ralentit pas le réel, c’est l’acte des participants qui doit se vivre en expérience.

 

« Slow Show »
Chorégraphie : Dimitri Chamblas
Musique : Eddie Ruscha
Avec 57 performers amateurs habitants de Montpellier

Pièce donnée le 24 juin sur le parvis du Musée Fabre puis dans la cour de l’Agora

 

 

Samedi 24 juin au soir

Ma demi-semaine se termine majestueusement.
Reprise de la reprise de milliers de gestes scéniques uniques, c’est une mise en abyme implacable de la Création mais aussi sa célébration que nous balance Boris Charmatz en pleine poire et en pleine puissance. Une exhortation à épuiser notre « trop plein » d’émotion face à la danse faite vanité, ultime représentation de sa fragilité glorifiée par le « Requiem » de Mozart. C’est une cérémonie mais un manifeste aussi, écrit de bout en bout, chaque seconde, jusqu’aux saluts compris, assené par les 24 cosignataires, ardents complices du démiurge d’un soir.
Pas facile, après ça, pour d’autres, de continuer à faire fonctionner leur petit commerce, pourrait-on penser. Pense toujours ! mais peu importe, tant qu’une telle œuvre peut apparaître.

 

« 10000 gestes » (2017)
Chorégraphie : Boris Charmatz
Assistante chorégraphique : Magali Caillet Gajan
Avec : Or Avishai, Régis Badel, Jayson Batut, Nadia Beugré, Alina Bilokon, Nuno Bizarro, Ashley Chen, Eli Cohen, Olga Dukhovnaya, Sidonie Duret, Julien Gallée-Ferré, Kerem Gelebek, Alexis Hedouin, Rémy Héritier, Pierrick Jacquart, Noémie Langevin, Samuel Lefeuvre, Johanna Elisa Lemke, François Malbranque, Noé Pellencin, Samuel Planas, Mathilde Plateau, Solène Wachter, Frank Willens
Assistante chorégraphique : Magali Caillet Gajan
Lumière : Yves Godin
Costumes : Jean-Paul Lespagnard

Pièce donnée le 24 juin au Corum / Opéra Berlioz

 

 

Jean-Paul Guarino