Décidemment une éclectique programmation, et c’est tant mieux – Montpellier Danse 2022, suite

 

Ce que fait Nacera Belaza, c’est bien toujours la même chose, ça elle le dit, mais toujours vers un ailleurs différent ou, plus exactement, toujours un peu plus loin, et c’est toujours étonnamment beau, et ça nous le voyons.
Comme à chacun des débuts de ses pièces, l’artiste met longuement notre rétine à l’épreuve jusqu’à ce qu’elle capitule. Définitive impossibilité à faire le point, s’accrocher pour enfin décrocher du lien au réel et répondre à l’invitation d’un nouveau périple.
Sur le son de l’air, ténu, tenu tout le long de la représentation, ce ne sera que ballets de bras, ellipses, mouvements et déplacements à la limite des différentes zones lumineuses, frontières d’un trou noir, espace de l’espace qui aspire et absorbe tout, voracement, ne délaissant que l’indestructible sensualité de l’abandon.
Ce ne sera qu’apparitions et disparitions, du corps et des corps. De l’espace aussi, des espaces du plateau, du plus petit point de présence à l’intégralité de l’espace scénique. La pièce s’appelle « L’Envol » mais on pense à la célèbre photo de Yves Klein, qui ne se décida ni pour la chute ni pour l’élévation pour la nommer et qui opta pour « Le saut dans le vide ». Bien sûr, c’est bien cette espèce d’espace, espace inédit, que souhaite approcher Nacera Belaza pour mieux nous le transcrire, en partager l’expérience. Un passage visuel pur, sans corps et sans image, partition lumineuse précisément écrite où le plateau, chorégraphié de lumières, le signifiera au mieux, une prouesse déjà.
Le son se fera de plus en plus strident presque à percer nos tympans comme quand suspendus en avion et traversant un trou d’air. Nous y voilà, elle nous y a amenés, nous et ses danseurs, elle y est aussi. Cela durera peut-être un quart d’heure de temps concret, inestimable temps X où vagues de lumières et roulis de résonnances sonores nous amènent à flirter avec des fragments d’éternité qui pourraient nous emporter et nous entrainer jusqu’à traverser la matière jusqu’à l’inconnu, lieu d’expansion du temps et de l’espace, l’inatteignable espace-temps infini, objet de la superbe quête du toujours plus de liberté.

 

L’Envol
Nacera Belaza
Studio Bagouet / Agora – Montpellier
mardi 28 et mercredi 29 juin

Chorégraphie, conception son et lumière : Nacera Belaza
Avec : Nacera Belaza, Aurélie Berland, Imani Butler, Paulin Banc, Mohamed Ech Charquaouy
Régie générale : Christophe Renaud, Melchior Delaunay

 

Une monographie faite de « L’Onde », de 2020 et « Le Cercle », de 2018, 2 pièces de Nacera Belaza jamais montrées à Montpellier, sera visible sur la même scène du Studio Bagouet à L’Agora ce samedi 2 juillet à 16 heures.

 

 

Ça commence dans le silence avec des gestes que l’on connaît déjà, réminiscences de représentations convenues. Une écriture proprette se déroulera une heure durant, pour des exécutants, parfois de qualité, se dépensant même sans compter, même si l’on devine la volonté ou la consigne de donner de l’épaisseur aux mouvements qui n’atteindront l’amplitude espérée. Et puis même, au service de quoi ?
On a le temps de penser à autre chose. Que dit l’autour de la danse ? Les éclairages sont blancs, les costumes aussi mais surtout gris, comme le sol, gris acier, tonalité élégante mais si neutre. L’élégance semble être le maître-mot de l’objectif ultime. Pour ce, fenêtres obturées du mur de fond de scène pour s’approcher au mieux d’un séduisant mais apathique paysage, des cimaises, mobiles, qui ne cessent d’être déplacées pour tenter de tout tenter mais qui ne feront que rendre le plateau étriqué comme jamais, délimitant différents cadres, parangons soulants du White Cube fantasmé. A défaut d’acmé, le pompon étant atteint avec l’exécution de choses en zinc envahissant toute la scène et abandonnées en cimetière de formes, signifiant la fin du spectacle, la fin de tout.
Une économie d’apparence qui joue l’élégance, ah ben tiens, comme Pontus Lidberg, vu en début de festival. Elégance ou beauté, deux registres pour deux mondes clairement différents. L’une d’une ambition bourgeoise, l’autre forcément destructrice.
Quoi qu’il en soit, une génération bien grise et un état de la danse – de la Caricaturale Chorégraphie Nationale, et autres, de nos institutions – bien tristounet, vérifié cette année encore.

 

First Memory
Noé Soulier
Théâtre de l’Agora – Montpellier
lundi 27 et mardi 28 juin

Conception, chorégraphie : Noé Soulier
Avec : Stephanie Amurao, Lucas Bassereau, Julie Charbonnier, Adriano Coletta, Meleat Fredriksson, Yumiko Funaya, Nangaline Gomis
Musique : Karl Naegelen, créée et enregistrée par l’ensemble Ictus
Enregistrement et spatialisation sonore : Alex Fostier
Scénographie : Thea Djordjadze
Costumes : Chiara Valle Vallomini
Création lumière : Victor Burel / Régie lumière : Benjamin Aymard

 

 

Au-delà de « Wilder Shores », sa pièce déjà réussie de 2020, Michèle Murray témoigne avec sa toute récente création, « Empire of Flora », de son toujours fort attachement à l’art chorégraphique et d’une respectueuse émancipation envers son Histoire.

La DJ entre sur le plateau, et, derrière ses platines, imprime d’entrée un rythme de boucles électro soutenues, comme pour mettre en condition danseurs et spectateurs, et initiant même quelque chose d’un suspense. Mais que vont-ils pouvoir faire sur une telle musique qui n’a besoin de rien pour déjà transmettre une irrésistible énergie ?
Deux morceaux plus tard, 1 danseur arrive, puis un deuxième et de 3 et de 4, nonchalamment, comme pour contredire la rythmique musicale, comme pour la dompter, la maitriser, pour le moins ne pas s’y soumettre. Sur une tonalité de warm-up, le contraste entre l’énergie balancée des platines et l’énergie contenue des danseurs se révèle sensuel. On n’est pas sur un dancefloor, le désir d’en découdre, de déployer un tout lâcher, d’aller vers l’unisson, devra attendre. Ils vont se donner avec parcimonie, en puissance mesurée, en oxymore dansant. Des règles soupçonnées sont respectées, vite oubliées, voire outrepassées, le désir n’obéit à rien, chacun sa ligne débridée, son vocabulaire baroquisant, son histoire. Se créent aussi des ébauches de duos, de paires plus exactement, les rencontres, parfaites, n’appelant rien ni de convenu ni d’ambigu, tout pour la danse uniquement. Portés, jetés, Michèle Murray aime la danse foisonnante et c’est amoureusement écrit. Temps de pause aussi, pour éviter tout récit, rester sur son sujet, la danse encore. Jusqu’au bout, la maitrise des corps, soumis à une écriture qui ne semble n’avoir de syntaxe, mais possédant son effervescente logique, résistera à l’exubérance et au lyrisme vital du tourbillon musical, pour mieux imposer leur puissance propre, jusqu’au contre-jour, jusqu’à la nuit tombée.

Moi qui ne m’attarde que rarement sur la technique et les individus, notons cette fois encore, les éclairages raffinés de Catherine Noden, la qualité du set de Lolita Montana et l’espèce d’improbable tendre sentiment induit par ces 4 étranges danseurs comme venus d’on ne sait où.

 

Empire of Flora
Michèle Murray
Théâtre La Vignette – Montpellier
mercredi 29 et jeudi 30 juin

Direction artistique, chorégraphie : Michèle Murray
Musique : Lolita Montana (DJ set)
Collaboration artistique : Maya Brosch, Marie Leca
Création lumière : Catherine Noden
Costumes : Lucie Patarozzi
Création, interprétation : Alexandre Bachelard, Baptiste Ménard, Manuel Molino, Julien-Henri Vu Van Dung

 

A venir encore :

On Earth I’m Done
Jefta van Dinther & Cullberg
Théâtre Jean-Claude Carrière / Domaine d’O – Montpellier
vendredi 1er et samedi 2 juillet

L’Onde / Le Cercle
Nacera Belaza
Studio Bagouet / Agora – Montpellier
samedi 2 juillet

Necesito, pièce pour Grenade
Dominique Bagouet & Ensemble Chorégraphique du CNSMD
Théâtre de l’Agora – Montpellier
samedi 2 et dimanche 3 juillet

 

Jean-Paul Guarino