de l’impossibilité de tous aux possibles de chacun
Bien loin de la puissance de l’allégorie, manipulée par Roméo Castellucci dans Go Down, Moses vu la semaine précédente, la forme illustrative d’Emio Greco et Pieter C. Scholten pour Extremalism – même assistée de bonnes volontés et de litres de sueur – reste une forme primaire. L’ivresse de la performance physique n’empêche les corps, fagotés en interprètes, usés, exploités par la seule idée de la représentation de rester mutiques. Jusqu’au handicap. User visuellement de la métaphore – si tous les anneaux du monde pouvaient se donner la main… – et concrètement se débattre avec des corps tels des électrons perdus et non point libres, tient de l’impossibilité de faire œuvre. Dans un éclairage crépusculaire, le ballet exécute ce que l’on espérait encore de luminescent chez l’autre et donc en soi. Pas brillant.
Ce n’est pas ce spectacle, qui ouvrait la nouvelle édition du festival Montpellier Danse, qui pouvait donner réponses aux légitimes questions existentielles, personnelles et partagées, qui déchirent actuellement Jean-Paul Montanari, son directeur. La clé n’est pas ou plus dans le traitement de la masse. Trop vaste et trop vague. Le temps est à l’un.
Ou à l’une. Le tableau final de Castellucci, nous renvoyant dans la grotte de nos origines, consacrait la femme en Mère de l’Humanité.
En aparté, Alain Platel aussi, la veille dans En avant, marche !, avec la fanfare telle une micro-société, nous signifiait que l’unisson et la marche ne peuvent résulter que des aspirations conjuguées de chacun.
Na, on ne dansera pas. Et puis on reste entre nous. Et on parle dans un micro. Comme les grands, avant.
L’option impossible : se raccrocher à une histoire sans en connaître tout son poids. Pour la détruire ? Impossible encore que de définitivement déconstruire une histoire que l’on ne peut évaluer faute d’en avoir été un des auteurs. Impossibilité jusqu’à la peur. Trajal Harrell, peut-être le plus téméraire de la petite bande communautaire, à défaut d’être courageux, reste en lisière du public pour le rassurer (et là c’est un euphémisme) et rassurer aussi ses copains restés sur scène tels des enfants fouillant de vieilles malles dans un grenier. Mais de quoi parle-t-on ? De l’individu ou de la danse ?
Ils finiront par défiler, déguisés avec les vieilles affaires de leur mère, sur des musiques et des paroles déchiquetées au mixeur et dans une pénombre honteuse. Pour finir – car s’il n’y a pas de début, on prendra soin de terminer proprement – et oser affronter la pleine lumière et les « autres », on se rapprochera, on fera masse, on se tiendra l’épaule puis la main, on amplifiera le volume de la musique dépolluée de tout mix et on fera ligne. Bref, on oublie tout et « on fait le final ». Ben, on s’amusait, quoi ?
Il y a quelques années, on mourrait.
Lorsque l’on sait finalement qui l’on est, cela peut aider à savoir ce que l’on fait.
Dans Belle d’Hier, Phia Ménard ordonnance un bataillon de femmes bien décidées à s’attaquer au mythe du Prince dit charmant. Mais oui, comment faire pour aimer ce monde ?
Fortes et courageuses, elles extirpent, de l’immense chambre froide qui occupe tout le fond de scène, des spectres figés. S’il s’agit d’une armée princière, elle va connaître la défaite. Si ce sont des panoplies de princesse, congelées depuis des siècles, elles ne les porteront pas. Et leurs fillettes non plus. Et pour cause, on va leur faire leur fête. A fond, avec un vrai programme, et pas celui de la machine à laver ! Au battoir, et qu’il ne reste la moindre des scories, jusqu’à finir en serpillière ! Pas de final, elles savent, qu’elles et leur descendance, devront rejouer la scène encore et encore. Elles n’en sont pas dupes et en rient déjà. Oui, elles sont vivantes. Et pensantes. Le rire, propre de la femme, en est la preuve. Nues, elles retournent dans la grotte, elles aussi. Peut-être pour réécrire l’Histoire.
Décidément, les grands se rencontrent, eux.
Ah oui, puis c’est beau et elles sont belles. Toutes, les cinq et la sixième, lors du salut. Happy End.
Jean-Paul Guarino