Pour rappel, de la fin des années 1890 jusqu’à sa mort en 1926, Claude Monet se consacre essentiellement au cycle des Nymphéas – environ 250 peintures ! – dont le musée de l’Orangerie possède un ensemble unique. En effet, l’artiste conçoit spécifiquement plusieurs œuvres pour le bâtiment sous forme de grand ensemble mural, pensant un espace unique composé de deux salles ovales au sein du musée, donnant au spectateur l’« illusion d’un tout sans fin, d’une onde sans horizon et sans rivage ».
Huit compositions, de même hauteur (2 m) mais de longueur variable, forment ce tout : Soleil couchant, Les Nuages, Reflets verts et Matin dans la première salle et Reflets d’arbres, Le Matin aux saules, Les Deux saules et Le Matin clair aux saules dans la seconde.
Robert Ryman dans ce même musée dédié au pape de l’impressionnisme, mais bien sûr ! Pensons au défunt producteur Claude Berri qui possédait sept tableaux du peintre américain et qui disait : « Ryman, c’est comme Monet sans les nénuphars ».
« Je ne me considère pas comme quelqu’un qui fait des tableaux blancs. Je fais des tableaux : je suis un peintre. La peinture blanche est mon moyen d’expression » disait Robert Ryman en 1971.
Trop souvent associé au courant minimaliste, l’artiste refusa toujours d’y être assimilé. Sa démarche singulière demande aujourd’hui à être regardée pour elle-même et par elle-même.
Comme Monet avant lui, il concentre ses recherches, de façon quasi obsessionnelle, sur les spécificités propres à son médium, interrogeant la surface de l’œuvre, ses limites, l’espace dans lequel elle s’intègre et la lumière avec laquelle elle joue.
Quand il parle de lumière c’est à la fois celle des œuvres elles-mêmes que l’usage du blanc permet de réfléchir et celle de l’éclairage des œuvres. Concernant l’accrochage, Ryman en joue et le questionne en créant des œuvres sans cadre, collées à même le mur ou bien maintenues par des attaches précisément choisies. Le ruban de masquage, les attaches, vis, écrous, boulons, pattes et tiges métalliques utilisés pour fixer les peintures au mur sont partie intégrante de l’œuvre et invitent le spectateur à se questionner sur les limites : où finit l’œuvre et où commence le mur ?
Si l’idée d’accueillir le sublime travail de Ryman au sein du sanctuaire Monet est excellente, les dimensions de ce lieu sont bien modestes pour tant d’enjeux, pour une peinture qui nécessite le plus grand espace possible afin d’irradier au mieux. Oublions cela et restons focus sur les œuvres et apprécions la chance d’en voir tant, réunies, en France.
En fin de parcours, pour accentuer, peut-être un peu trop, les possibles liens entre les deux artistes et leur œuvre, 3 « Cathédrale de Rouen » de Monet. Ne boudons pas notre plaisir, trop ravi de pouvoir encore s’approcher de cette peinture.
Musée de l’Orangerie, Paris
Les Nymphéas de Claude Monet (huit compositions)
Robert Ryman. Le regard en acte
jusqu’au 1er juillet 2024
Dans la grisaille des salles de l’horrible bâtisse de la Fondation Louis Vuitton, « Matisse, l’atelier rouge ». Dans une salle plus exactement, une grande salle. Si l’idée qui a guidée la construction de l’exposition est sympa, son intérêt réside dans l’exceptionnelle opportunité de voir un chef d’œuvre et quelques autres petites merveilles d’Henri Matisse.
« L’atelier rouge » donc est au cœur du projet et de l’exposition qui décrypte les secrets de cette œuvre magistrale, les raisons de son succès, son histoire, et le contexte artistique qui l’entoure.
En 1911, dans son atelier d’Issy-les-Moulineaux, Henri Matisse peint son espace de travail sur une toile. Sujet banal, jusqu’à ce geste insensé, cette couche de peinture rouge qui recouvre presque tout le tableau, un acte et un résultat qui auront marqué toute la peinture moderne.
Ce recouvrement, d’un rouge cramoisi, rouge vénitien obsédant tirant vers l’ocre, épargne 6 tableaux, 3 sculptures et 1 céramique. Après le MoMA, la Fondation réunit une nouvelle fois ces œuvres représentées, excepté un tableau, un grand nu sur fond rose. Matisse en avait demandé la destruction après sa mort.
L’exposition comprend également des œuvres étroitement liées à « L’Atelier rouge », tels « La Fenêtre bleue » du MoMA et « Grand Intérieur rouge » du Centre Pompidou, permettant de restituer le parcours complexe du tableau de Matisse.
« Je ne comprends pas exactement pourquoi je l’ai peint de cette façon. » avait-il dit et ce n’est certes pas à nous de trouver la réponse à quelconque questionnement.
Rien à dire de plus pertinent que ce que sa peinture exprime, donc juste regarder, voir, regarder encore, s’en approcher au mieux et regarder, regarder.
Une autre exposition dans ce même lieu faisait envie, « Ellsworth Kelly, formes et couleurs, 1949-2015 ».
Là ce n’est pas la monstruosité de l’architecture exhibée de Gehry qui pêchait mais ma méconnaissance de l’œuvre de Kelly qui induisit une réelle déception. Comme beaucoup, au nom de l’artiste j’associais principalement le travail graphique des dessins et les « shaped canvas ». C’était vraiment méconnaître son œuvre, son parcours, ses recherches en tous sens, toutes les fortes influences subies et nombre d’errements qui s’en suivirent. 120 peintures, sculptures, dessins et photographies qui composent cette rétrospective inédite en témoignent.
Pour une fin de visite folâtre de la Fondation, s’en éclipser par la sortie permettant de traverser le superbe Jardin d’acclimatation.
Jean-Paul Guarino
Musée de l’Orangerie, Paris
Les Nymphéas de Claude Monet (huit compositions)
Robert Ryman. Le regard en acte
jusqu’au 1er juillet 2024
Fondation Louis Vuitton, Paris
Matisse, l’atelier rouge
jusqu’au 9 septembre 2024
Ellsworth Kelly. Formes et couleurs, 1949 – 2015
jusqu’au 9 septembre 2024