« Mecarõ » ou « L’esprit de la forêt ». L’Amazonie dans la collection Petitgas – MO.CO, Montpellier

 

 

« Mecarõ. L’Amazonie dans la collection Petitgas » est la première présentation institutionnelle de la collection de Catherine Petitgas, figure clé de la reconnaissance de l’art contemporain d’Amérique Latine en Europe. L’exposition présentée au MO.CO Hôtel des collections à Montpellier propose une sélection de plus de cent pièces d’une cinquantaine d’artistes du bassin amazonien et son titre, signifiant « esprit de la forêt » en langue krahô, met en lumière les relations entre les artistes et leur environnement social, économique et mental.

 

 

 

Au premier regard et aux premiers contacts, cette collection nous renvoie quelque chose d’humble loin de toute autorité formelle ou conceptuelle ou d’un ostensible bling-bling, scorie d’une esthétique mondialisée.
Peintures, dessins et sculptures sont majoritairement présents, la photographie occupant une place modeste et anecdotique concernant la vidéo. La terre est présente, en couleur comme en matière, le minéral aussi et la nature souvent représentée. On baigne dans l’ocre, la verdure et le solaire. Les techniques et matériaux sont on ne peut plus classiques et donc communs, créant une distance mi-intime mi-amicale entre les œuvres et les visiteurs.
La collectionneuse avoue agir souvent sur des coups de cœur et reconnaît la réelle dimension séduisante des pièces acquises. Le visiteur partage ce sentiment et le premier accès aux œuvres s’effectue donc via le « sensible » même si l’on peut, ensuite, en faire une lecture plus riche.
Positivement cela met en place un tout qui rapproche le spectateur de ce lointain continent et de l’art, dit contemporain, aussi.

 

 

 

S’il s’agit d’une immense géographie, le bassin amazonien est aussi un riche territoire mental et le projet curatorial de l’exposition en témoigne, différentes problématiques étant développées au gré des salles.

Le parcours de l’exposition débute par une installation immersive multisensorielle, sas vers la découverte de nouveaux territoires. S’en suit une évocation rapide du contexte historique justifiant l’influence de l’abstraction géométrique occidentale, puis une nouvelle section baptisée « Pourriture et renaissance : les mutations urbaines », avant de pénétrer le cœur du sujet dans le plateau titré « Cosmologie amazonienne », où l’on découvre alors que l’écologie, au plus proche du drame de la déforestation et des effets du colonialisme, se pense différemment sur le terrain que sur les terres de la vieille Europe.

 

 

 

 

Les menaces écologiques qui pèsent sur le bassin amazonien accentuent les inégalités ethniques et sociales. La déforestation, les feux de forêt, ainsi que les violations des droits de l’homme, en particulier ceux des minorités ethniques, animent le travail de nombre d’artistes. Du microcosme des cultures autochtones colonisées jusqu’au macrocosme de la représentation de l’Univers, cette section de l’exposition s’interroge sur l’interaction entre les humains et non humains.

La proximité des artistes avec la réalité des dangers en puissance ne produit néanmoins rien de culpabilisant dans les différents constats et les légitimes dénonciations, à l’encontre des craintes égoïstes des gentils petits blancs européens qui s’inquiètent non du devenir de la planète mais de leur avenir sur la planète.

« Je suis liée aux Indiens, à la terre, à la lutte première. Tout cela me touche profondément. Tout me semble essentiel. Peut-être ai-je toujours cherché la réponse au sens de la vie dans ce noyau fondamental. J’ai été poussée là-bas, dans la forêt amazonienne, pour cette raison. C’était instinctif. C’est moi que je cherchais. » écrit Claudia Andujar.

Pour qui aura été saisi par les poignantes photographies de l’artiste brésilienne et qui n’aura pu voir la vaste exposition qui lui fut consacrée à la Fondation Cartier à Paris en début d’année et qui devrait rouvrir cet été, peut consulter le site claudia-andujar.fondationcartier.com, qui nous entraîne dans son univers et dévoile son engagement pour la défense des droits des Indiens Yanomami.

 

 

 

Toutes marches descendues, nous arrivons au dernier plateau, occupé par une installation de Sol Calero, sous forme de salon de coiffure et de bar à ongles, qui cohabite avec d’autres artistes dans une salle dédiée au « Féminisme tropical ».

Là encore, l’écart de posture entre sud-américain et européen est notable, où loin d’être donneuse de leçon ou aveuglée de convictions, Sol Calero déclare : « J’aime l’art politiquement engagé, mais je me suis aperçue que le public peut avoir du mal à en comprendre le message. La situation au Venezuela, par exemple, est tellement dramatique que parler de ce drame ne nous permet pas d’y voir plus clair, car nous y sommes trop habitués ».

L’environnement apparemment ludique de cette installation que nous traversons, les œuvres joyeusement colorées et les peintures marquées d’une admiration matissienne assumée que nous côtoyons usent de la séduction pour tenter de révéler le pathétique état vécu, tant genré que politique.

 

 

 

Tout au long de la visite de « Mecarõ », la déambulation dans l’espace du MO.CO s’effectue au sein d’une décoration, plus que d’une scénographie. Est-ce que cela dirait quelque chose du statut ou de la qualité de cette collection ? Est-ce pour accentuer l’idée d’un ensemble ou pour renvoyer à l’univers habité d’un particulier style « la maison France 5 » ? Cela peut donner à cogiter mais, quoi qu’il en soit, ce décorum séduisit la collectionneuse lors de sa découverte de l’accrochage et opérera de même sur les visiteurs et, comme il était déjà pensé plus haut, cette exposition devrait rencontrer et rassembler un large public après la superbe exposition « japonaise [1] » inaugurale du lieu qui demandait peut-être une certaine familiarité avec l’art contemporain pour y adhérer pleinement, et après la calamiteuse « russe [2] » qui suivit, certes très facile d’accès, mais pour cause d’illustration au premier degré et d’une bien pauvre dimension intellectuelle et plastique.

C’est un tout qui fait un lieu et son projet et il faut tout regarder si l’on veut mieux voir. Ainsi, l’an prochain, nous approcherons un panorama de la création Africaine grâce à une sélection de la collection de la famille Zinsou du Bénin.

 

Jean-Paul Guarino

[1] Distance Intime. Chefs-d’œuvre de la collection Ishikawa. 29 juin – 29 septembre 2019
[2] Les non-conformistes. Histoire d’une collection russe. 13 novembre 2019 – 9 février 2020

 

 

Mecarõ. L’Amazonie dans la collection Petitgas
MOCO Hôtel des collections
13 rue de la République, Montpellier (34)
réouverture le 2 juin et jusqu’au 20 septembre 2020