L’été se poursuit à Montpellier (1) – Pavillon Populaire, Musée Fabre

 

Lynne Cohen, Double aveugle 1970 – 2012, au Pavillon Populaire à Montpellier.
Jusqu’au 22 septembre 2019

De belles photographies évidemment et sans aucun doute, mais un voyage bien décevant au sein de l’œuvre où comment le commissariat de Marc Donnadieu, conservateur aux qualités reconnues, nous en propose une rencontre bien passive. Il est vrai que les petites salles des coursives nous mettent, comme à l’accoutumée, en simpliste position de voyeur dominateur mais un net parti pris dans la salle centrale aurait pu nous permettre de partager au mieux la dimension critique de l’artificialité des décorums – soigneusement voire politiquement agencés – frontalement visés par Lynne Cohen. Ce fut à nous de tenter de recadrer les différents champs de vision de l’accrochage.
Même s’il ne s’agissait pas de nous retrouver, nous même, dans un décor, une ambiance au néon aurait réveillé la tiède luminosité du lieu qui contredit la neutralité espérée de la prise de vue.
Comme régulièrement, on notera un trop grand nombre de pièces présentées où l’on se gaspillera à identifier les lieux photographiés jusqu’à perdre la complexité de ce que l’on voit et de ce que cela pourrait traduire. Pour le dire autrement, une fois de plus, nous serions plutôt dans une mise en volume et en espace d’un catalogue, réussi lui.

 


Il y aurait-il un problème dès que l’on annonce tenter une rétrospective ? Ici, l’artiste, décédée, n’imposait rien, les ayants droit peut-être, la direction du lieu peut-être aussi, très férue d’exhaustivité comme elle le démontre pour chaque exposition, préférant conserver la photographie dans son champ propre plutôt que de l’en émanciper.
Exceptée la superbe proposition de François Cheval pour l’exposition de Patrick Tosani en 2014, le Pavillon semble mal s’accommoder de la contemporanéité, toujours plus proche des rencontres « historiques » d’Arles que du Jeu de Paume. Nous espérons néanmoins une expérience visuelle convaincante lors de l’exposition consacrée à Valie Export qui débutera le 23 octobre prochain.
Dans un cas de figure autre, au Musée Fabre, même problématique liée à la rétrospective et même déconvenue.

 

 

Vincent Bioulès, Chemins de traverse, au Musée Fabre à Montpellier.
Jusqu’au 6 octobre 2019

Ça commençait bien, et tant mieux se disait-on avec l’envie de partager le plaisir du peintre à capter et traduire la luminosité en lumière. Le parcours des petites salles du 1er étage est fidèle au cheminement de ses préoccupations. Trois Fenêtres, déclinant le thème métaphorique classique de la représentation, nous invitent à pénétrer l’exposition et les tableaux réunis, soit des petits formats début 60 avec figures puis des tentatives post De Kooning s’en suivent avant le fameux intermède Supports/Surfaces. En suite ou en réaction, la fascination pour Matisse s’affirme alors définitivement. Tout ça nous le savions, mais c’est justement exposé et, avec l’aide des cartels, il est confirmé que la majorité des tableaux prêtés sont en collections particulières ou familiales et que Vincent Bioulès est bien boudé par « l’institution », hormis principalement le Musée de Saint-Étienne « époque Ceysson et Supports/Surfaces » et celui de Strasbourg, audacieusement acquéreur de La Nuit de 1979. Cette Nuit, d’égale qualité que la série des Places d’Aix, une des deux séquences phare de la créativité du peintre, admirée après avoir descendu quelques marches pour arriver au plateau temporaire et être passé rapidement devant les Nues.
Arrive ensuite une séquence titrée « Habiter la peinture »…

 

Les vues intérieures de l’habitat du peintre, bourgeois dans la décoration et le respect des symétries, disent le confort du décor et peut-être aussi de la peinture elle-même.
Ce confort, assumé, de par la proximité du sujet qui frôle l’autocélébration – mais après tout, on n’est jamais mieux servi que par soi-même – pouvant se traduire en économie du déplacement, révèle également la dimension « marchande » de nombre de formats. Une économie de la monstration, elle, aurait pu éviter le malentendu de voir la peinture à l’image de l’accrochage et des pièces choisies, soit, confortable avec une ambition toute mesurée.

Cloisonner, comme cela l’a été fait, le plateau temporaire et le charger d’une somme de petits documents c’est refuser ce que cet espace avait de vaste, à l’image de l’immensité de ce qu’est un paysage. Les grands paysages, second groupe d’œuvres emblématiques de Bioulès, qui, outre la qualité de leur composition, sont de véritables célébrations de la lumière et de la couleur, méritaient mieux. De l’ampleur.

 

Une rétrospective, est-ce « tout » montrer ? Tout exhiber, sortir, déballer ne nécessite alors pas de commissariat. Il eut été possible d’inscrire la peinture de Bioulès dans l’Histoire plutôt que dans l’anecdote même si ce registre est plus goûté dans nos provinces, cette rétrospective se transformant en « biopic » soit le parcours, fidèle, de l’homme en peintre au détriment de ce que l’on aurait pu espérer, un voyage dans le temps au plus près de l’œuvre.

Jean-Paul Guarino