Les sculptures de Joël Renard – LAC, Sigean (11)

Ce temps où vous pénétrez dans ce lieu, tout à la fois entrepôt et atelier, est fascinant. Des peaux de fonds de pots, de légères empreintes de seaux faites de pâte à papier, tous en attente d’un dire à nouveau. Cette découverte – que le regard embrasse sans dire mot – d’un arrangement par lequel l’artiste met à disposition ses objets selon un ordre qu’il a choisi, est un seuil, le début de la phrase. Nul autre que Brian O’Doherty ne l’a décrite avec autant de justesse.

« Tandis qu’une œuvre est travaillée, les autres, achevées ou inachevées, sont en attente dans une zone intermédiaire, empilées l’une sur l’autre en une sorte de collage de temporalités compressées. Toutes sont au plus proche de leur source de légitimité, l’artiste. Tant qu’elles demeurent dans l’orbite de l’artiste, elles sont susceptibles d’altération, de révision, et donc potentiellement inachevées. Elles sont placées, et avec elles l’atelier, sous le signe du processus : c’est lui qui détermine le temps propre de l’atelier ; bien différent du temps étale, blanc, toujours conjugué au présent, qui est celui de la galerie. Le temps de l’atelier est un faisceau mouvant de temporalités. » *

* Brian O’Doherty. « L’atelier et le cube », in White Cube, l’espace de la galerie et son idéologie, Zurich, JRP Éditions / Paris, La Maison Rouge

 

Différemment de l’œuvre qui naît de la taille directe d’un bloc, les sculptures de Joël Renard ne sont pas conçues selon une place dans l’espace, mais comme une opération de composition de l’espace.
Conjuguant matériaux hétéroclites, fragments, technique du moulage et peinture, l’artiste procède par addition, juxtaposition, superposition, autrement dit, des actions nées de sa réflexion sur les possibilités formelles qu’elles autorisent entre le contraste et l’équilibre, l’appropriation et la critique, l’œuvre, à ce titre, n’étant pas considérée comme un objet unique et indivisible. Ces assemblages – combinant l’architectonique, le minéral, le végétal et le rebut – révèlent un jeu subtil de détours entre le nécessaire et le relatif, le style et le non style brouillant les frontières entre ce qui est fait de la main de l’artiste et ce qui ne l’est pas. Sur ces derniers points, ils interrogent le rapport que nous entretenons avec – plus que l’art – l’idée que nous nous faisons de l’art autant de manière individuelle que dans un cadre institutionnel. Parfois proches de la maquette, les sculptures aux multiples points de vue, offrent des profils dont on identifie l’usage en même temps que son impossibilité mêlée à la « dérision » des matériaux et à l’aspect « bricolé » de l’ensemble.

 

L’usage du fragment comme du rebut s’inscrit dans une histoire séculaire que Joël Renard poursuit autant qu’il la renouvelle, car l’un comme l’autre remémorent et réactivent d’une part les mythologies contemporaines – des débris laissés sur le chantier aux objets décoratifs conservés – d’autre part une certaine idée de la sculpture, la mémoire de la forme, son double, sa trace, son empreinte. Le débris et le reste agissent comme facteur d’intention et de création. Ce sont ces riens qui proviennent souvent de la maison où l’archéologie affleure. […]

 

Plusieurs sculptures se rapportent au tabouret selon trois procédés distincts qui posent la question du modèle et de sa reconnaissance : l’usage d’une assise existante, la construction d’une assise reformulée, la conception d’une assise offerte à l’usage pour les ouvriers. Elle est le point d’ancrage du volume, armature, cadre, châssis, ossature. En outre, elle convoque deux « objets » concomitants à l’histoire de la sculpture, la sellette, l’espace sur lequel le sculpteur transforme la matière informe ; le socle, ce lieu qui met en valeur, met à distance, surélève et sacralise la sculpture.
Le tabouret, selon cette mémoire induit la verticalité et vient en écho à la position du corps. L’ensemble des sculptures, tel un ballet, ne remplit pas l’espace, il le compose, lui donne sens. S’opèrent ainsi des glissements, d’une forme, l’autre.
Chaque matériau enrichit notre regard de ses potentialités esthétiques. L’inox usiné, lustré, dessine autant qu’il anime ; les bois flottés oblongs rassurent l’horizon ; les empreintes de tuyau en pvc réalisée en pâte à papier imitent le béton, piéger la pesanteur ; le plâtre immaculé recouvre un volume, ailleurs il inscrit ses propres formes selon les lois de la gravité, liquidité, épaisseur, infractuosités dialoguant avec la forêt de têtes d’ail séchées ; les panneaux de bois, les mélaminés et stratifiés bruts ou peints construisent ces sculptures mobilières au cœur desquelles se rejouent parfois la peinture. […]

Sylvie Lagnier
Retour d’atelier, extraits, mars 2020

 

 

L.A.C. – Lieu d’Art Contemporain, Sigean (11)
Quatre Figures
Joël Renard
avec Fabien Boitard, Claude Dadalus et Patrick Sauze
2 juillet – 30 août 2020