Le titre complet de la deuxième exposition présentée au MOCO Hôtel des collections à Montpellier est « Les non-conformistes. Histoire d’une collection russe ».
Pour le dire tout de go, en reprenant la présentation du communiqué de presse, soit, un ensemble de 130 œuvres provenant de la Galerie Nationale Tretiakov – le musée d’art russe de Moscou – constitué de peintures, installations, sculptures et photographies d’une cinquantaine d’artistes composant un parcours chronologique des différents courants de l’art « non-conformiste » en U.R.S.S, puis en Russie.
Une douzaine de courtes séquences – titrées de « La révolte des sculpteurs » en passant par « L’esprit d’avant-garde retrouvé », « Vers l’objet », puis « L’inventaire du banal » etc… jusqu’à « Fin du discours critique » – illustrent la vision, voire la théorie, du commissaire collectionneur Andreï Erofeev. Après s’être un temps amusé du pompeux de ces titres au vu du peu d’œuvres les illustrant, on se lassa vite jusqu’à décrocher définitivement.
Si en visite dans une exposition on commence à voir puis regarder, passée cette première expérience du sensible on peut alors envisager, avec plaisir, une réflexion, travailler ses savoirs et enfin penser.
Mais qu’avons-nous vu ? Des pièces datées, chronologiquement bien sûr mais pas seulement, et qui formellement, en grande majorité, ne s’imposent plus mais peut-être ne s’imposèrent-elles jamais.
A propos de l’épisode baptisé « Le Pop art russe », reconnaissons la lucidité du commissaire à décider du sous-titre : « un pari perdu d’avance ». Le transfuge ne pouvait avoir lieu.
Si le Pop Art – originaire de Grande-Bretagne puis s’étendant à l’ensemble du monde occidentalisé dans le contexte de la société industrielle capitaliste – cite une culture propre à la société de consommation, il n’avait rien à faire ni à gagner dans une société moscovite qui commandait en néo-tradition, sous l’ère soviétique, d’être toujours prêt à dégainer son sac plastique de sa poche pour le remplir de quoi que ce soit, à savoir le moindre reste du dernier approvisionnement impromptu et inespéré du magasin d’état Goum. L’avatar russe tenta de s’emparer des signes visuels, débarrassés de toute pensée. Cette posture grotesque produisit un « art de squat », mi-rebelle mi-potache.
Ce « Pop art russe » se prolongea dans une direction consacrée à un sujet mieux choisi : la relation avec le pouvoir. Apparut ainsi le « Sots Art », style le plus reconnaissable des non-conformistes dit-on, inventé par Vitaly Komar et Alexander Melamid. Une des deux rares sections un tantinet singulières ou exotiques pour nous, occidentaux côté ouest du rideau de fer à l’époque, avec le « Lettrisme », inscrit, avec son attachement à la littérature et aux mots, dans une véritable tradition russe à défaut d’avoir pu être soviétique car empêchée.
On l’aura compris, hormis ces deux moments, on était bien peu intéressé et encore moins concerné, étranger comme jamais, par ce témoignage d’une collectionnite aiguë, qui, même montré dans un cadre institutionnel et muséo-sacralisant n’arrivait à en gommer sa dimension kitsch.
Si l’on avait fort apprécié l’exposition inaugurale du MOCO Hôtel des collections, riche de toute l’ambiguïté contenue des œuvres extraites de la collection Ishikawa, nous voilà cette fois-ci pour le moins dubitatif, baigné de l’ambigüité dégagée du statut de cette collection et de l’idéologie qu’elle développe.
Cette collection dite publique a tout d’une collection privée, voire d’un cabinet de curiosités privé, tant son axe est précis et même orienté.
Dans le livret offert à l’accueil il est noté : « Cette collection a été constituée entre 1983 et 2008 à l’initiative de l’historien de l’art russe Andreï Erofeev […] ». Sur la frise chronologique qui nous accueille il est écrit qu’en 1986 « Andreï Erofeev propose au Musée Pouchkine d’intégrer l’ensemble de 300 œuvres sur papier qu’il a constitué entre 1983 et 1985. » Cela laisse penser que cet ensemble lui appartient. La chose est confirmée de manière plus claire un peu après, sous le repère 1989 : « Andreï Erofeev devient responsable de la “ Section des nouvelles tendances ” du Musée Tsaritsyno. Il y fait entrer sa collection ». Plus loin, un texte signé de son nom dit : « La plupart des œuvres de la collection sont des dons. On pourrait dire que cette collection est le résultat d’une propriété collective des artistes […] Ils m’avaient délégué le droit de la constituer […] ».
Si l’on peut se demander à qui donc appartient cette collection, on n’a pas de réponse claire non plus sur le lieu qui l’accueille et qui la montre puisqu’il est dit, dans un premier temps, qu’en 1986 quelques dizaines d’œuvres sur papier intègrent les collections du Musée Pouchkine puis qu’en 89 la collection fait son entrée au Musée Tsaritsyno puis que, suite à son accroissement, elle a été transférée dans un abri antiatomique, pour que finalement, en 2002, une partie rejoigne la galerie Tretiakov, le reste de la collection étant conservée en « dépôt provisoire ».
Quant à ce que raconte cette collection où sous couvert d’ironie et d’esprit critique dixit le commissaire, plutôt en excuse de notre point de vue, ne sont ni questionnées ni évaluées les formes, plus approximatives qu’elles sont, un arrière-goût de réaction à l’art contemporain occidental de l’Ouest ou sa version fantasmée car non montrée en URSS la contamine.
Bref, la chose – ce qu’elle est, à qui elle est et où elle est – est pour le moins alambiquée voire nébuleuse et si l’on doit parler des individus, l’Histoire nous l’a enseigné, les dictatures créent des opposants emprisonnés ou émigrés ou des petits chefs.
Côté artistes, Kosolapov est à New York depuis 1975, Komar et Melamid y résident aussi après un court passage par Israël en 1977, alors qu’Ilya Kabakov est parti vivre aux USA fin des années 80 tout comme Gricha Brouskine. Andreï Erofeev, le commissaire, est toujours à Moscou où il travaillerait comme curator au Musée d’art contemporain de Moscou (MMOMA), nous dit-on au MOCO, même s’il n’apparaît pas sur l’organigramme de l’institution.
Plutôt que de tenter d’approcher « l’Histoire d’une collection russe », on pourra, par défaut, visiter l’exposition en expérimentant une traversée de l’Histoire d’une histoire. Et plutôt que du jamais vu – à la limite du décadent ou maniériste –, pour nous, voir des œuvres, cela nous suffirait, déjà dans un premier temps. D’où la forte attente envers la programmation de La Panacée et la création contemporaine évidemment mais actuelle aussi et sous forme de bienvenues monographies, si possible.
Jean-Paul Guarino
Les non-conformistes. Histoire d’une collection russe
MOCO Hôtel des collections
13 rue de la République, Montpellier
jusqu’au 9 février 2020
du mardi au dimanche / 12h – 19h