Les jours passent, les espoirs trépassent mais Benjamin Kamino et Daina Ashbee se surpassent dans un Montpellier Danse très entamé

 

 

 

Comment, en France, « le monde de la danse » a capacité à tout accepter au nom du fantasme de l’ouverture à tout crin, à tout, à n’importe quoi et jusqu’au rien.
Comment une ado, dans sa chambre, se la joue Tintine au Pays du Soleil-Levant, entre égotique impudeur et putasserie, avec un peu de mime et quelques tours de manège en plus.
Comment certains en profitent pour l’éviter même, la danse, et, à l’heure de l’hyper appropriationnisme, pour reprendre l’expression favorite de telle autre que nous n’irons plus jamais voir, « pour le dire simplement », mes oreilles en souffrent encore.
Comment, avec son trio, un autre, tricote et détricote une danse de sentiments et, proche de la fin, réalise qu’il serait temps de penser dramaturgie.
Comment, hors de nos frontières aussi, un divertissement, aussi peu divertissant que moribond, tenterait de nous inscrire dans un présent mortifère. Bien laborieux, sentencieux, vu et revu et lentement long, pour une opération en fait cucul la pistache, à défaut de praline dans la tradition grecque.
Et comment une Daina Ashbee, encore, sans faire une fixette, avec son interprète, juste ne voyant que ce que l’on voit, arrivent à nous transporter, loin, très loin de ce tout ça.
C’était au Théâtre du Hangar, la pièce c’était « Labourious Song ».

 

On entre dans la salle, il est déjà là, nu, sur un plateau nu. Un corps et un visage qui appartiennent à notre commune généalogie. Il mesure, arpente, circonscrit l’espace pour le faire sien, imposant une temporalité, la sienne aussi, dans le silence.
S’en suivront, un chapelet de poses, de pas et de pauses, avant de s’offrir en bascules ou convulsions au sol, prosternations sur une Terre-Mère. La cérémonie, véritable Passion païenne, comptera torsions extrêmes de filius dolorosus en temps allongés, génuflexions aussi dans le registre d’un calvaire tout aussi baroque. Une heure hors de tout, sous des éclairages subtils, mesurés comme le son qui apparaît très tard, quand il se doit, suivi d’un signe venu des cieux, la pluie, se mêlant ensuite à un violent ressac, jusqu’à un ultime don de son corps à nous, pour nous, sur un cri primaire, primal et ultime dans le noir complet, sous un vrai déluge avant que les éléments ne se calment, que quelques lueurs colorées, traversées de canopée, n’accompagnent des gazouillis d’oiseaux d’un Eden retrouvé. Sublime !

Benjamin Kamino c’est le nom de l’interprète, exceptionnel, pour lequel la pièce a été écrite et qui joue sans surjouer la partition, à la respiration et la goutte de sueur près.
La lenteur, loin d’un ralentissement est un tempo fictionnel et la répétition, signature de la chorégraphe, est parfaitement mesurée, jamais une de trop, celle qui exaspèrerait.
Troublant de tant de justesse même si une partie du public semblait mitigé, comme quoi l’art n’est pas pour tout le monde. Heureux ceux qui voient sans avoir cru !

 

Jean-Paul Guarino

 

 

 

Laborious Song – fut donné le 3 et 4 juillet 2021
Chorégraphie, production : Daina Ashbee
Interprété par et en collaboration avec Benjamin Kamino
Lumières et direction technique : Karine Gauthier
Compositeur : Gianni Bardaro