Le Festival d’Automne 2021, suite – Allers-retours de Jean-Marc Urrea

 

6 décembre
Bajazet (Sava Lolov), frère du Sultan, est sous la menace d’une exécution arbitraire. Il est pris entre l’amour de deux femmes, Roxane (Jeanne Balibar) qui peut le sauver mais qu’il n’aime pas et la princesse Atalide (Claire Sermonne) avec laquelle il voudrait fuir. Il y a aussi 2 autres comédiens, Adama Diop et Mounir Margoum et aussi Andreas Deinert pour les images vidéo en direct.
Balibar dit dans un interview « Je n’ose me présenter sur scène devant les gens que si c’est dans un contexte où je peux espérer raconter quelque chose de la brûlure insupportable de la vie » et pour cela Castorf embarque avec Racine des textes d’Antonin Artaud et en particulier « Pour en finir avec le jugement de Dieu », texte de 1947 qui fit l’objet d’une création radiophonique censurée la veille de sa diffusion. Les textes étaient lus par Maria Casarès, Roger Blin, Paule Thévenin et l’auteur. L’accompagnement était composé de cris, de battements de tambour et de xylophone enregistrés par l’auteur lui-même. Cet enregistrement me semble un élément fondamental à la mise en scène de la pièce de Castorf.
Contre le corps-tombeau qui enferme les hommes, il s’agit pour Artaud de faire danser l’anatomie humaine, Le corps sans organes, corps animé de mots qui participe ainsi de l’Homme incréé et représente la matérialisation corporelle et réelle d’un être intégral de poésie.
La tragédie racinienne, percutée en permanence par les textes d’Artaud, fait de ce spectacle une expérience hallucinante de théâtre au long des quatre heures de représentation, avec, à l’avant-scène sur un grand écran, des images vidéo filmées en direct projetant gros plan et hors champ. L’homme est malade parce qu’il est mal construit. Il faut se décider à le mettre à nu pour lui gratter cet animalcule qui le démange mortellement, dieu, et avec dieu ses organes dixit Artaud le Momo.

► Frank Castorf / Bajazet – en considérant le Théâtre et la peste / Racine – Artaud
Festival d’Automne, Paris / MC93 – Maison de la culture de Seine-Saint-Denis / 2 – 5 décembre 2021

 

 

7 décembre
Ce n’est pas de la poésie, ce n’est pas de la littérature, ce n’est pas une prière, ce n’est pas un livret, c’est une invention dit Damiaan De Schrijver dans l’entretien publié dans le programme du Théâtre de la Bastille.
Un spectacle comme une partita de Bach versus Gould, un mouvement free à la Mingus, à la Archie Shepp joué par Kayije Kagame, Damiaan De Schrijver et Matthias de Koning.
Rambuku est le troisième texte de Jon Fosse mis en scène par tg Stan, « un texte où il n’y a pas de point, de virgule, de point d’interrogation, de point d’exclamation ». Tout est dit.

► tg STAN et Maatschappij / Discordia – Rambuku
Festival d’Automne, Paris / Théâtre de la Bastille / 6 – 22 décembre 2021 puis 4 – 15 janvier 2022

 

 

9 décembre
« Drumming Live » d’Anne Teresa De Keersmaeker est une pièce de 1998, écrite à partir de l’œuvre musicale éponyme de Steve Reich créée en 1971, soit 12 danseurs et 12 musiciens en fond de scène. Comme pour de nombreuses pièces d’ATK il faudrait pouvoir tout voir, les détails et l’ensemble mais pour celle-ci l’exercice se complexifie avec la présence des musiciens au plateau. Un premier entre et commence la partition puis un deuxième puis ils sont quatre, et trois autres arrivent et quatre sortent (version intégrale disponible à l’écoute sur https://www.allformusic.fr/steve-reich/drumming-live-live).
La partition chorégraphique se déploie en suivant les différentes textures des percussions et les danseurs suivent cette course folle réglée au millimètre. Il reste trois jours pour voir à la Villette l’une des chorégraphies les plus emblématiques du travail d’Anne Teresa De Keersmaeker.

► Festival d’Automne, Paris / La Villette – Grande Halle / 9 – 12 décembre 2021

 

 

12 décembre
N’ayant pas publié après la création, mi-septembre dernier, de « Structure Souffle » de Myriam Gourfink, il est urgent de le faire maintenant pour deux raisons. Cette pièce, présentée dans la Sainte-Chapelle du Château de Vincennes, est certainement un des plus beaux spectacles vu cet automne et aussi parce qu’il est à l’exact opposé de « Drumming Live » de ATK et tout aussi passionnant.
Chez Gourfink nous sommes dans la langueur et la lenteur qui permettent au spectateur de suivre ce passage du temps comme un tourbillon mental et de savourer à chaque minute le plaisir de la dilatation et de la rétraction des corps.
Elle dit à propos de sa précédente pièce et de celle-ci : « Arche développe une partition qui explore tout le spectre des relations entre les têtes et visages de deux danseuses qui ne se décollent jamais. Structure Souffle vient simplement poursuivre cette recherche au long court en ajoutant de nouvelles données : il ne s’agit plus ici de nommer une relation ou des surfaces du corps mais de « relier » des danseuses entre-elles par des membres qu’il est possible d’agripper (une cuisse, une épaule, un avant-bras, etc.). J’ai ainsi imaginé une structure mouvante de huit corps interdépendants qui travaillent en permanence le contre poids par ces accroches ».
Toujours très précise dans ses énoncés, elle rend visible sur le plateau le simple geste d’emplir et de vider les poumons, un geste voluptueux et épais qui se déplie devant nous sur une partition musicale de Kasper T. Toeplitz, compositeur et musicien qui accompagne le travail de Gourfink depuis plus de vingt ans. La musique est produite dans le même tempo, elle est électronique et générée en temps réel avec plusieurs ordinateurs où un micro changement est un événement.

► Festival d’Automne, Paris / Centre des Monuments Nationaux – Château de Vincennes / 14 – 16 septembre 2021
Avec Alexandra Damasse, Céline Debyser, Karima El Amrani, Carole Garriga, Deborah Lary, Azusa Takeuchi, Véronique Weil, Annabelle Rosenow

 

 

15 décembre
Back home. Présentée au théâtre de la Vignette à Montpellier après le Festival d’Automne, « Métropole » de Volmir Cordeiro est une pièce pensée en trois parties, Terreur, Révolte et Stupidité.
Terreur fait irrémédiablement penser à la pièce iconique de Kurt Jooss, « La table verte », créée en 1932 qui dénonce l’absurdité et les horreurs de la guerre et préfigure la montée du nazisme. Cordeiro utilise, ainsi que le fit Jooss, masques, gants blancs, frappement des pieds. Le travail des deux chorégraphes puise dans le répertoire des Danses macabres, danses du Moyen Âge qui se nourrissent de l’inquiétude des temps de crise. Pour Cordeiro la crise est d’autant plus forte qu’il est un brésilien, certes vivant en France mais enraciné dans sa culture et son pays en phase de bolsonarisation aiguë.
Passons sur la deuxième partie intitulée Révolte qui peine à trouver sa résolution dramaturgique quand Stupidité clôt la pièce avec un certain brio, Cordeiro, qui s’est progressivement dévêtu du costume du sorcier masqué, renouant avec l’animalité de son corps, étrange et tournoyant.
La partition du batteur Philipe Foch qui l’accompagne sur scène et qui va taper tout au long du spectacle sur ses différentes caisses est parfaitement à l’unisson de son projet.

► Théâtre de la Vignette, Montpellier / « Métropole » de et avec Volmir Cordeiro / 14 – 16 décembre 2021

 

 

Jean-Marc Urrea