La force des destins ou La toute-puissance du présent ou encore La vie en oxymores. Impossible de ne trouver qu’un seul titre à ce billet tant la pièce, d’une implacable intelligence, est humblement riche.
Donc suite de compliments. Précision du texte et justesse d’interprétation sont au service de somme de questionnements qui flirtent avec un intime qui, d’un fort écho en nous, s’avèrera universel, la puissance du passé révélant la force du présent et cristallisant ce que nous sommes et ce qui nous fait.
Ça commence avec deux voix dans le noir, celles d’un homme et d’une femme. Noir pour nous et noir pour eux, ils ne voient rien, cherchent leur chemin, à s’en sortir, à peine retrouvés se cherchent encore. Réel et fiction, d’entrée sur le plateau, ce n’est que déroulé de jeux de mots, de phrases et de regards d’une jubilation contenue et mesurée, et partagée dans notre fauteuil. Le sourire fait naître le rire, ce rire virant jaune parfois, toujours sur le fil, frisant aussi l’émotion.
Justement sur scène, deux bêtes comme l’on dit, Natali Brooks et Peter Van den Eede lesquels s’ils semblent jouer sans jouer, en fait jouent leur vie, juste de quoi nous donner envie de vivre la nôtre. Ils sont avec nous, nous parlent même. Heureusement ils ne nous écoutent pas, mais nous, sommes tout ouïe.
Dans un décor chaotiquement précis, et dans un clair-obscur qui joue au contre-jour, cela parle de nous mais que de nous et tout de nous, de la personne au commun, de l’essentiel au trivial. La parole, loquace, est subtile, le léger éveillant le sérieux pour mieux éviter le grave, l’accent aidant, car si les personnages bataillent à se comprendre, les comédiens, flamands eux, se mesurent au français qui n’est pas leur langue, aussi complexe dès lors que celle de l’Humanité.
Dire et taire, tout y passe, tout se frotte et se confronte. Imbrication réjouissante, l’adjectif est faible, de paradoxes, de temporalités, de joies et de regrets, de questions et de réponses, de questions et de silences, d’utopies et de rêves, de rêve et de réel, du glamour au glacial.
C’en était troublant et émouvant, savoureux et drôle, tous les éléments de la beauté réunis pendant près de deux heures de nos vies où Peter et Natali n’en finissaient plus de se tourner l’un autour de l’autre, allant vers le combat jusqu’au duel, s’enlaçant alors en duo, éphémère évidemment.
Installation ou performance se demandaient-ils au tout début, entrant sur le plateau, face au décor de leur histoire ou au décor de notre pièce. Dans les deux cas, il s’agit d’œuvre, et réussie. Un régal.
« Le Nouvel Homme » c’était tout ça et bien plus encore, eux c’étaient Natali Broods, Peter Van den Eede et Willem de Wolf. Après avoir été montré au Théâtre de la Bastille à Paris du 14 au 29 septembre 2023, c’était à La Vignette à Montpellier les 10 et 11 octobre et programmé aussi au Théâtre de Nîmes les 12 et 13 octobre 2023. La pièce est annoncée les 7 et 8 novembre à Aix-en-Provence puis suivront, en 2024, une trentaine de dates en Belgique et en Hollande.
Jean-Paul Guarino
La pièce
Un homme et une femme se retrouvent dans un aéroport vingt ans après avoir connu un amour si profond qu’ils ont préféré y mettre un terme pour ne pas se laisser consumer. Alors qu’ils attendent la venue du nouveau compagnon de la femme, leur dialogue effleure leurs vies respectives, leurs regrets, leurs souvenirs, mais aussi le contexte social et politique.
Dans un monde où rien n’est inaltérable et dans lequel ne subsiste aucune certitude, vont-ils vaciller à leur tour ? Vont-ils chérir leurs souvenirs ou les reconsidérer ? Un véritable dialogue va-t-il s’installer ?
La compagnie
De Hoe est une structure de représentation et de recherche théâtrale, intergénérationnelle et interurbaine, installée à Anvers et Gand, fusion de deux collectifs de renom apparentés, la Compagnie de KOE et Hof van Eede.
De Hoe crée et présente des spectacles, développe une pratique d’écriture, de travail autour du texte et de dramaturgie, gère et numérise un répertoire de plus de 80 pièces de théâtre et considère la production théâtrale comme un moyen de rendre publique la matière théâtrale et de lancer une réflexion autour d’elle, sous des formes diverses et au fil de différentes étapes. Il peut donc s’agir d’un spectacle courant, mais aussi d’une lecture publique de scènes fraîchement écrites et de leur discussion, de la mise à disposition sous une forme numérique de scènes supprimées et du streaming de podcasts scénarisés.
De Hoe se compose de : Ans Van den Eede, Greg Timmermans, Natali Broods, Peter Van den Eede, Wannes Gyselinck, Willem de Wolf, Carine van Bruggen et Mitch Van Landeghem.
Le Nouvel Homme
Texte : Peter Van den Eede, Natali Broods et Willem de Wolf
Interprétation en français : Peter Van den Eede, Natali Broods et Nico Sturm
Régie technique et son : Bram De Vreese et Shane Van Laer
Traduction et coaching linguistique : Martine Bom
Production : De Hoe
Coproduction : Het Laatste Bedrijf
Avec l’appui des Autorités Fédérales Belges