La dramaturgie appliquée est un boulot de technicien, certes, mais technicien de quoi ? S’il n’était, dans l’ordre de la création, qu’une simple caution intellectuelle, cela voudrait dire que le sens risque, à tout moment, de se noyer dans les remous de l’art, qu’il faudrait sauver l’un par l’autre et que l’on chercherait à les faire cohabiter comme l’on cherche à faire cohabiter, de force, deux pièces qui n’appartiennent pas au même puzzle… C’est moche ! Nous y voilà donc, il fallait bien s’y confronter un jour à « l’épineuse question » : de quel postulat faut-il partir pour se sentir un peu utile ? Et bien de celui qui veut que le sentiment esthétique accompagne l’émergence du sens. Non pas comme une forme sensible illustre une forme intelligible, tout en appartenant à une sphère distincte – ce ne serait qu’un vieux relent de la dualité corps/esprit. Non, plutôt comme le toc-toc-toc à la porte qui nous indique qu’il y a quelqu’un derrière. Le sentiment esthétique annonce la venue du sens, car le sens ne saurait être là sans venir (c’est logique). L’expérience esthétique, en art, échappe complètement au vœu pieux que formulait Jacques Brel, celui d’être « beau et con à la fois ».
Bon ! Il ne me reste plus qu’à faire un petit article sympatoche pour parler de tout ça. Je pourrais l’appeler « Sentir que le sens advient, prolégomène à une esthétique objectale »… C’est pas mal ça ! ça pète ! Et je sens déjà que ça vient. Non pas comme le fait le sens – faut pas rêver quand même – mais comme le fait un chercheur qui propose une communication lors d’un colloque.
Direction Meknès !
Billet d’avion pas cher, Air Arabia, décollage dans la phobie de l’avion et les sueurs froides, prière du voyageur en arabe traduite en anglais sur l’écran de la rangée 13 (comme dans les pièces de Rodrigo Garcia), arrivée en trombe à Fès, le pilote pile sur la piste d’atterrissage, je vois ma vie défiler en cinq minutes, taxi-mercedes, « Boulevard Mohammed V s’il vous plaît », pas de ceinture à l’arrière mais droit de fumer, coup de klaxon, 63 dirhams, « shoukran », valise, demi-tour, surpriiiise !!!
Et voilà comment la première occurrence du terme « esthétique » s’est manifestée à moi, à peine arrivée près de la station Mohammed V à Fès.
Esthétiique – iiiiiiiique
Comment faut-il le prononcer ? Avec le Iiiiiiii du grincement ? Ou avec celui, hoquetant, du rire nerveux ? Serait-ce un signe ? De quoi douter de la pertinence de ma question et de ma venue ici… Cela voudrait peut-être dire qu’il faut abandonner l’idée de vouloir décrire le sentiment esthétique, l’idée de vouloir le définir, en soi… Car si tout ce qui se conçoit bien s’énonce (et s’écrit) clairement, la faute d’orthographe me parle, me regarde, et doute à ma place. Dans un grincement de dents elle se moque de moi, d’un rire pincé et hautain. De quoi freiner des quatre fers, tel un pilote d’Air Arabia, dans un ultime Iiiiiiiii qui tente d’éviter la collision. Alors, abandonner ? Je ne crois pas, non ! Mais choisir plutôt le petit iii du rire satisfait lorsque l’on sent que l’on est en face d’une preuve.
Marie Reverdy
Université Moulay Ismaïl – Meknès, Maroc
« Greimas aujourd’hui, du sens et des langages. »
Colloque international
22 et 23 novembre 2016