La dramatique vie de Marie R. – Festival Montpellier Danse à J-3, Montpellier (34)

 

 

On a déjà interrogé les liens entre le mot et la chose mais le mot et la non-chose ? Le mot et la non-représentation ? Cela ressemblerait peut-être à un carré blanc sur fond blanc, comme celui de Malévitch ? Ou bien aux 4 minutes 33 de John Cage ? Un mot vide qui ne serait pas creux… Un mot pour le mot. Il apparaîtrait de la même manière qu’un geste qui n’exprimerait rien, ne narrerait pas plus, et qui ne renverrait à rien d’autre qu’à lui-même. Cette quête de l’autodénotation, qui vise à se défaire de la tyrannie de la figuration pour « dévoiler son être en-soi » – comme on dirait en philo –, voilà le programme de la modernité artistique, celle des avant-gardes.

 

On prête à Merce Cunningham d’avoir opéré cette révolution dans le champ de la danse. Grâce à lui, nous dit Agnès Izrine, la danse conquiert enfin sa totale indépendance en n’étant plus chargée d’une signification autre que celle que suggère le mouvement en lui-même. C’est aussi fascinant qu’extravagant, car la danse n’est jamais aussi belle que lorsqu’elle se prend pour objet. Oui, comme on l’aura reconnu, je feuillette le programme de Montpellier Danse 39ème festival dont le centième anniversaire de la naissance de Merce Cunningham inspire le fil conducteur de la programmation. Édition anniversaire ? Édition bilan ? Édition nostalgie ? Édition commémoration ? Non, édition question : « Que reste-t-il de vivant de Merce Cunningham ? » interroge Jean-Paul Montanari. Question ouverte. « On connait cette forme très particulière de démocratie qu’a inventée Cunningham : chaque danseur est un centre, et chaque spectateur en regardant plutôt tel danseur ou tel autre, voit un spectacle différent de son voisin. » rajoute-t-il. Chez Cunningham, la scène se fait fragment d’infini en l’absence de centre – car c’est bien la définition de l’infini que de ne pas avoir de milieu –, espace démocratique en l’absence de soliste autour duquel les autres danseurs gravitent, expérience de la liberté pour le spectateur qui devient alors seul maître de son regard. Vertige devant l’intelligence de la proposition, Résistance de l’art face aux tempêtes du monde, la Beauté revendiquée comme étendard et comme espoir… Voici les trois termes qui découlent de cet héritage, page 7 du programme, dans l’édito signé par Montanari qui affirme que « les artistes ont toujours raison ». Mais de quelle résistance parlons-nous ? Et de quelle beauté ? Celle, toute simple du temps pensé comme action, du temps de l’œuvre pensé comme acte, du temps de la contemplation pensée comme activité. Non pas le temps rapide, saccadé, de l’émotion, mais le temps intelligible, dilaté, de la syntaxe. Non pas le temps, didactique, de la leçon, mais le temps élastique, réversible, de l’introspection. Non pas le temps chaotique, diffracté, du catalogue, mais le temps phénoménal, suspendu, de l’apparition du sens. Le temps, précieux, nécessaire pour éprouver un héritage et son devenir. Et pour l’artiste, bien sûr, le temps indispensable à la création.
Feuilletant ce programme, découvrant, entre autres, toutes ces propositions qui revisitent les œuvres constitutives de notre modernité chorégraphique, je me dis que cela me rappelle quelque chose… Il y a quelques années, en automne… un autre programme, qui avait eu l’intelligence de présenter les grands spectacles de la contemporanéité théâtrale… Je poursuis ma lecture. « Être spectateur c’est un travail. Il faut prendre le temps, persister […] Et l’exigence de Merce Cunningham était la marque d’un immense respect pour le public » affirme Jean-Paul Montanari qui nous rappelle, en page 23, que « le public de Events, en 1985, avait quitté la salle en criant ». De l’exigence oui, et quelques réminiscences d’il y a seulement 5 ans : « le public est une question et un mystère. Alors essayer de contenter le public c’est comme obtenir un diplôme en imbécillité, et c’est une lâcheté. Divertir le public c’est le tromper et le sous-estimer » affirmait le premier édito de Rodrigo Garcia. Je relis la page 7 du programme de Montpellier Danse « Être spectateur c’est un travail, et quand il est allé au bout de l’expérience, il est tellement récompensé ». Je relis cette phrase, « il faut prendre le temps » et je me dis que oui, bien sûr, prendre le temps, accorder du temps surtout, surtout, accorder le temps avant qu’il ne soit pris de force. Ou qu’il ne soit définitivement perdu.

 

Marie Reverdy

 

 

 

Ouverture du 39ème Festival Montpellier Danse ce samedi 22 juin avec « une maison » de Christian Rizzo au Théâtre Jean-Claude Carrière au Domaine d’O à Montpellier.

Le Festival consacre un jour entier à Merce Cunningham : « Un jour avec MERCE C. » le mercredi 26 juin. Programme de cette journée sur
http://www.montpellierdanse.com/programme-montpellier-danse/un-jour-avec-merce-c