Du paru à l’à paraître : pile au milieu, il y a 4 illusions et beaucoup de désir…
1H52 du mat, je suis bourrée comme un cochon… L’heure idéale pour une lettre d’amour… Trop enjouée, sûrement, pour être théâtrale. Trop analytique, probablement, mais sincère…
David,
L’amour est plus fort que la mort je veux vaincre la mort avec toi vaincre la création c’est toi que j’ai choisi viens me chercher je ne veux pas te partager je veux juste être à ton image me dédoubler en hologrammes dans les brisées de tes écrans je veux t’aimer en vrai et t’admirer et te toucher viens me chercher ne me lâche pas mets ta main là et prends-moi par le bras je veux que tu sois mon père mon Dieu je veux juste être à toi …
Non, ça, ce sont tes mots, les seuls à partir desquels je peux moi-même écrire. Car tel est le lot du dramaturge, condamné à ne jamais pouvoir faire le premier pas ; non pas que le dramaturge soit, à l’instar du pou ou du morpion, parasitaire, accroché à l’écriture d’autrui, celle d’un auteur, mais plutôt par le regard méticuleux qu’il porte, et dont lui seul pense avoir le privilège… Voici notre première et orgueilleuse illusion.
Un Batman dans ta tête, et trois Robin dans la mienne, débattant ensemble comme Père et fils blessés… La littérature est affaire de rencontre. On découvre une œuvre et l’on discute avec elle comme lors d’un premier rendez-vous. Elle se dévoile à nous, on l’effeuille, page après page. Il est alors facile de croire connaitre celui que l’on lit parce que l’on reconnait le regard qu’il porte sur le monde. Et l’on se surprend à aimer un auteur comme si nous entretenions avec lui une relation des plus intimes : deuxième et douce illusion. Mais l’auteur n’est pas le narrateur, et tout comme lui, le lecteur se laisse déduire du texte. S’il est parfois des miroirs littéraires dans lesquels on se sent enfin désirable – troisième et flatteuse illusion – il faut tout de même s’avouer que le lecteur rêvé par l’auteur n’est pas le lecteur réel.
La littérature est affaire de séduction, car sans séduction, point de lecture. La force de séduction d’une œuvre littéraire s’apparente à une force de persuasion qui susurre sans cesse « lis-moi », remplie de promesses « continue à me lire », et de mensonges « je n’écris que pour toi… » De là peut-être notre envie de défendre l’art comme on se défend soi, de-là les combats esthétiques, et la définition kantienne du Beau : « Est beau ce qui plait universellement sans concept ». Un universel en forme fictive de « comme si », quatrième et sublime illusion, qui prend comme propriété de l’objet ce qui est le résultat de la relation que l’on entretient avec lui.
Et puisqu’aimer un auteur c’est également aimer les mots qu’il aime, je redécouvre Heidegger sur les touches de ton ordinateur : « Le langage est et demeure souverain » ; « Le langage parle s’il a un corps » ; « C’est seulement quand le verbe se fait chair que la vérité parle ». En effet, découvrir un texte, c’est découvrir l’incarnation qui a présidé l’acte d’écriture, et lire est un corps à corps qui nous rappelle à notre identité d’être parlant, d’Homo Narrans. Ainsi pouvons-nous espérer, à force de littérature, qu’un jour nous serons humains. Mais en attendant, on habite le monde en poète parce que nos corps sont périssables : telle est la leçon d’Heidegger qui place le néant au centre de nos existences. La littérature est charnelle. Malheureusement nous ne sauverons pas la peau, seulement la page. On le sait bien, la littérature flirte toujours avec la mort. Mais ce faisant, elle flirte aussi avec le désir car Eros enlace toujours Thanatos, comme la nuit appelle la chair. Retrouver le tracé qui a conduit l’être à sa main, sentir les mots d’un autre, de la gorge jusqu’aux lèvres, et son corps s’enrouler sur sa colonne d’air. La littérature est affaire d’érotisme.
Chuchoter une phrase, ouvrir les bras, et savoir que notre peau part en lambeau, que nos corps sont en train de se dissoudre, et que chaque parole ressemble à un dernier souffle. La littérature bâtit un mausolée autant qu’un lit nuptial.
Lucide désir et douces illusions, suscitant l’envie d’un amour littéraire solide et durable, un amour théâtral fait De Terre, de honte et de pardon…
Marie Reverdy
David Léon
Neverland
sorti été 2017 aux Éditions espaces 34
De Terre, de honte et de pardon
à paraître en janvier 2018 aux Éditions espaces 34