A l’ouverture du festival, quatre spectacles documentaires, deux nous parlent de la mort, celui de Emilie Rousset, « Rituel 5 : La Mort » – embarquant huit jeunes comédiens – est une collection de performances qui ausculte avec humour les rites de notre société et celui de Milo Rau intitulé « Everywoman », qui pense que la mort est la seule chose qui soit vraiment impensable pour soi et du point de vue philosophique.
Le troisième spectacle, signé par Mohamed El Khatib, intitulé « Mes parents », est une pièce chorale, fabriquée avec les jeunes acteurs sortis de l’école du Théâtre National de Bretagne, qui brosse le portrait des relations enfants-parents à partir de questions posées par le metteur en scène jusqu’à la plus taboue, la sexualité.
Marcus Lindeen signe le quatrième projet avec un titre générique « La Trilogie des identités » soit trois spectacles : « Orlando et Mikael », « Wild Minds » et « L’Aventure invisible ». Le principe est le même, Lindeen transforme une recherche documentaire et des entretiens – il vient du cinéma – en dialogues scénarisés et mis en scène. Les personnages parlent d’évènements dramatiques, mais le drame n’a pas lieu sur scène, il s’est déjà produit. Les spectateurs sont assis en cercle avec les interprètes qui nous racontent leurs histoires à l’occasion de conversations authentiques, un peu étranges et totalement poétiques.
Quatre metteurs et -euse en scène qui pratiquent un cousinage réjouissant.
Aux Bouffes du Nord, « Catarina », écrit et mis en scène par Tiago Rodrigues, raconte l’histoire d’une famille qui tue des fascistes depuis plus de 70 ans, le texte est écrit comme du Tchekhov, il se déroule dans un décor tchekhovien pendant 2h30 et les acteurs le sont aussi mais au final c’est une fable brechtienne qui s’attaque à l’impuissance des démocraties à lutter contre la montée inexorable des mouvements d’extrême droite en Europe.
A la MC93 à Bobigny, Philippe Quesne propose de réenchanter le monde dans un projet de science-fiction mâtiné de musiques hollywoodiennes des années 50/60, « Cosmic Drama », qui nous amène à croire aux aventures de réconciliation entre l’humain et la nature. Un spectacle sur grand écran porté par cinq interprètes du Théâtre de Bâle entre mélancolie et burlesque et en plusieurs langues.
Philippe Quesne signe aussi la scénographie de « CASCADE », une pièce dansée de Meg Suart où il est question de corps et de choses qui tombent, qui se relèvent, se transforment et recommencent. La scénographie est en perpétuel mouvement, elle aussi, et structure une pièce avec quelques moments au bord de l’ennui et d’autres totalement déjantés mais elle est réjouissante quand bien même elle nous fait penser, curieusement, à des formes chorégraphiques à l’œuvre au début des années 2000.
Toujours du côté de la danse, Marlene Montero Freitas signe une pièce pour la compagnie de danse inclusive « Dançando com diferença », basée à Madère. Si avant la pandémie La Ribot avait réalisé une pièce immensément poétique, intitulée « Happy Island » avec cette même compagnie, pour sa part Freitas imprime la grammaire Freitas à 100% et c’est probablement cela qui interroge, les interprètes se prêtant avec vigueur au jeu du carnaval ce qui ne va pas sans créer un malaise pour le public que je suis et, en cela, pas si éloignée de « La Monstrueuse Parade », titre français du film culte de 1932 de Tod Browning.
François Chaignaud et Tania Carvalho sont aussi invités à chorégraphier pour cette compagnie et se partagent la scène du Théâtre de la Ville aux Abbesses. Les deux pièces s’enchaînent et ne se ressemblent pas. Celle de Chaignaud est d’une grande beauté, on est dans la peinture, en pays ibère, chez Velasquez entre autres et l’on retrouve la poésie tintée de nostalgie qui émergeait avec délice dans « Happy Island ». A contrario, la pièce fabriquée par Carvalho est à la fois trop longue mais surtout de si peu d’intérêt.
Vera Montero avait créé une pièce pour cette compagnie, je ne l’ai pas vue mais la bonne idée du Festival d’Automne a été de l’inviter à présenter ce fameux tour de chant du compositeur, poète et chanteur brésilien Caetano Veloso, qu’elle tourne depuis 2000. Montero est une chorégraphe précieuse qui, hélas, produit très peu de spectacles de danse aujourd’hui, elle est aussi une interprète impressionnante au service de l’art de Veloso qu’elle nous fait découvrir sous multiples facettes, entre douleur, générosité, amour et tragédie.
Pour poursuivre il faut parler de « Danser Encore », un projet de Julie Guibert pour les danseurs du Ballet de l’Opéra de Lyon qu’elle dirige avec brio depuis les premiers jours de la pandémie. Pour cela et au-delà de poursuivre le programme de création et de remontage de pièces historiques, elle a invité trente chorégraphes à créer une courte pièce pour chaque interprète du Ballet.
Au CND – Centre National de la Danse à Pantin – étaient présentés dix soli. La soirée a débuté par
« Periode piece » de Jan Martens pour la danseuse Kristina Bentz et s’est clôturée par la reprise de
« MITTEN/DRITTECELLOSUITE IN C-DUR » de Anne Teresa De Keersmaeker pour la danseuse Marie Albert. Deux œuvres remarquables et dansées par deux interprètes de grande intensité.
La soirée comporte d’autres pièces de différents intérêts que le public découvre dans les studios et autres espaces du CND, on citera en particulier un film intitulé « Raúl » du plasticien Hans Op de Beeck et interprété par le danseur Raúl Serrano Nuñez en acteur de cinéma hollywoodien.
Pour finir ce premier tir de spectacles, au Théâtre de la Bastille, « Danses pour une actrice » de Jérôme Bel est incarné par Jolente De Keersmaeker.
Sur la scène, éclairée par une lumière qui consommera 1KW, peu d’accessoires et De Keersmaeker – avec des vêtements pris dans sa garde-robe – annonce le programme, puisqu’il n’existe pas en version papier selon la volonté de Bel. Rien ni personne n’est oublié y compris le propos.
De Keersmaeker, cofondatrice du collectif théâtral Tg STAN, travaille généralement à partir du répertoire et il en est de même pour ce projet dansé. Elle traverse des danses issues de la modernité et en général des danses d’expression qui vont de Duncan à Bausch pour laquelle elle interprète « Café Muller » entièrement nue (quel culot) à Kasuo Ōno en passant par « Saturday night fever » ou Rihanna (Diamonds in the sky) et finissant en pure improvisation sur la musique Folias Criollas. Elle est folle, vraiment culotée, drôle et bouleversante. Un pur plaisir.
Jean-Marc Urrea