« Evel Knievel contre Macbeth » de Rodrigo Garcia au Théâtre Garonne, Toulouse (31) – Marie Reverdy

 

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Si, pour Beckett, « elles accouchent toutes assises à cheval sur une tombe », pour Saint-Augustin, « nous sommes tous nés entre excrément et urine ». A l’absurdité de nos existences, répond la condition charnelle de nos vies. « Je n’ai pas aimé le théâtre de l’absurde », disait Rodrigo Garcia lors de la rencontre organisée en amont de la représentation du 21 novembre à hTh à Montpellier. Et pour cause, son théâtre non-narratif n’a jamais relevé de l’absurde, d’aucune manière, mais bien d’une modalité d’appréhension du monde qui ne dépend pas de la logique des actions mais de leur consignation. Qu’y a-t-il d’absurde à se dire que toute forme de jugement est extérieure à l’action qu’elle décrit ? Et que chaque connecteur logique échappe, également, aux faits qu’ils unissent ?

Venons-en donc aux faits, et évacuons le reste. Corps monstrueux tant aimé, ne me lâche pas ! Acte 1. Saint-Augustin qui déchire. Figures de rois boiteux, titubants. Combat de golf aux clubs d’épée. La supériorité du chien et l’humaine jalousie. Godzilla et les sorcières. Eden en 3D, Darwin, les pompes funèbres, Philippe Stark, deux nains, de la viande panée et des cornets de glace. La folie d’Orson Welles et la chute de Evel Knievel. L’orateur Lysias, fils d’un marchand d’armes qui, parait-il, soignait particulièrement ses intro et faisait un usage artistique de la langue dite familière… Sans oublier que la majeure partie de notre vie est composée des expériences que nous n’avons pas faites et que cela, nous le savons.

Le kaléidoscope de Evel Knievel contre Macbeth reconfigure sans cesse notre regard, nous invitant à adopter l’œil de la mouche et sa forme de boule à facettes. Toute la force artistique de Rodrigo Garcia réside dans le déploiement de la perception, mise en récit, et le rythme quasi musical qui la distribue dans l’œuvre, touche après touche.

Un combat de catch en forme de métaphore, entre l’incarnation du comédien, assimilé à son personnage, et la Performance ultime du cascadeur au costume kitsch. « Evel Knievel viendra rétablir l’évènement ! » martèlent ainsi les sorcières pour réveiller les vivants de leurs morts feintes, et éloigner le danger que constitue Orson Welles. La mort de l’événement est la seule menace métaphysique dans laquelle notre espèce se vautre, car « le lion et la gazelle communiquent. La proie et son bourreau se comprennent. Mais ça, nous autres êtres humains, nous en sommes démunis : privés d’objectivité, nous ne savons pas reconnaître un événement ; nous réduisons la vie à des commentaires » écrivait-il dans C’est comme ça et me faîtes pas chier. Or, « sans sursauts, une vie n’est pas dignement vécue », rajoutait-il dans Et Balancez mes cendres sur Mickey.

Voilà poindre le sens de l’œuvre hors de la narration, qui ne nous dit pas « la vie est absurde » mais « je voudrais renouer avec l’événement ».  Est événement « ce qui évite la chaîne causale, ce qui résiste à la rationalité qui veut l’inscrire dans la causalité. » Rodrigo Garcia nous l’avait annoncé, dans son introduction : « Evel Knievel contre Macbeth na terra do finido Humberto compte cinq chapitres, dix annexes et sept vidéos en bonus, plus un épilogue, le tout mis en ordre avec discernement, de sorte que pour n’y rien comprendre, il faut être bête ». Une bête humaine en somme, une machine à rationalisation, qui ferait perdre au fait sa valeur d’événement pour devenir un simple maillon dans la chaîne causale et nous priverait d’en faire l’expérience.

Mise en crise de la représentation et Art de la performance. Macbeth est guidé par la peur et la culpabilité, incapable d’admettre que « what’s done cannot be undone ». Voilà pourquoi l’événement le submerge. Enivrée de pouvoir, la folie est vagabonde, elle passe du personnage au comédien qui l’incarne, de Macbeth à Orson Welles. Une clavicule cassée par-ci, une fracture des pisiforme et scaphoïde par-là, Evel Knievel a accueilli, quant à lui, l’événement. Voilà pourquoi il le maîtrise. Vêtu d’un costume brillant, avec courage et sans témérité, en remontant sur sa moto malgré les chutes tout en militant pour le port du casque obligatoire, il sort vainqueur du combat qui l’opposait à Macbeth.

Expérience ataraxique contre Rationalisation à la folie ou Evel Knievel contre Macbeth, dans l’œil kaléidoscopique de la mouche c’est du pareil au même. Mais dans quelques-unes de nos irrépressibles profondeurs, voir Macbeth en lieu et place de Orson Welles, c’est aussi rendre au théâtre sa terrifiante capacité à faire événement. La revanche des sorcières…

 

Marie Reverdy

 

 

 

 

 

Evel Knievel contre Macbeth
écrit et mis en scène par Rodrigo Garcia
avec Núria Lloansi, Inge Van Bruystegem et Gabriel Ferreira Caldas

assistant à la mise en scène : Pierre-Alexandre Dupont / scénographie lumineuse : Sylvie Mélis / vidéo : Eva Papamargariti, Ramón Diago, Daniel Romero / son : Daniel Romero, Serge Monségu / costumes : Marie Delphin, Eva Papamargariti / film brésilien de David Rodriguez Muñiz

du 5 au 9 décembre 2017
Théâtre Garonne, Toulouse (31)