C’est FAIT mais pas montré – Les diplômés 2020 des Beaux-arts de Nîmes

 

 

« Un fait c’est un phénomène qui est arrivé à maturité » dit Sébastien Pons, l’artiste invité en commissaire à l’École des beaux-arts de Nîmes pour présenter les diplômés de la promotion 2020. Il ajoute aussi que « dans le titre de l’exposition – FAIT – il faut aussi entendre ça, c’est fait ! : les études c’est fait, le diplôme c’est fait et on est dans la phase d’après, directement. »

Ils étaient 17, en juin 2020, à se présenter au DNSEP, Diplôme National Supérieur d’Expression Plastique, soit le Master qui conclut les 5 années d’études du cursus en école d’art et furent 17 à réussir l’épreuve sous le tutorat des artistes-enseignants Isabelle Simonou-Viallat et Augustin Pineau.
L’exposition dont le démarrage était initialement prévu en novembre 2020 fut maintes fois reportée et ne s’ouvrira finalement pas au grand public, les espaces ayant été programmés pour accueillir des workshops d’artistes invités avant d’être utilisés pour l’accrochage des nouveaux diplômes de la promo 2021.

L’exposition des diplômés célèbre ce moment particulier où, les études achevées, les démarches artistiques présentées constituent le point de départ du long et précieux cheminement de l’artiste. Cette année inédite a probablement influé sur des gestes et des chronologies de certains processus mais plutôt que de focaliser sur les avantages tout comme les inconvénients du contexte viral, le commissaire privilégie les « faits ». Cette présentation s’attache à montrer simplement ce que l’artiste fait : des œuvres qui nous invitent à voyager, à nous interroger sur les singularités et à nous confronter à leurs dimensions poétiques et politiques.

Au sein d’une exposition collective comptant autant de participants, il n’est pas facile d’approcher au mieux les fondements du travail et les univers des jeunes artistes exposés mais, comme souvent, si l’on rate certaines rencontres, d’autres s’imposent comme évidentes.

 

 

 

 


Fanny Hugot-Conte
ou En plein dedans et juste à côté

« Empty selfies » est pour moi l’occasion de m’inscrire dans une pratique courante de l’autoreprésentation et de prendre parti sur les questionnements qu’elle soulève. Comme une réponse au flot interminable de ces images sur les réseaux sociaux, j’ai souhaité inverser le rapport d’immédiateté dans la réception de l’image. Ainsi, au premier abord on observe simplement la photographie d’un miroir, mais à y prêter plus d’attention on constate dans le reflet l’absence du sujet. M’effacer est pour moi une forme de refus de ma propre mise en scène dans l’acte d’auto-représentation et, par ce geste, je souhaite également signifier le sentiment de malaise et de manque que j’ai pu ressentir en observant ce genre d’images sur les réseaux sociaux.

« Empty selfie », tout est dans le titre et plutôt deux fois qu’une. Le vide de l’absence ou de l’absente plus précisément et la vacuité du selfie générique et des milliers de selfies échangés à la seconde sur la planète numérique. Face à l’œuvre, une seule présence alors, notre propre image, réfléchie sur la vitre de la photographie encadrée, nous renvoyant au vide de la solitude du spectateur plus « regardeur » que jamais dans l’espace recouvré de l’artiste, provisoirement devenu nôtre.
Fanny Hugot-Conte ou « en être » avec capacité de recul, soit tout ce que l’on attend et espère d’un artiste et qui nous réjouit quand « c’est » déjà là, l’artiste à peine éclos.

 

 

 

Antoine Bondu ou Le sombre augure du chaos

La série « Archéologies d’anticipation » est un ensemble de sculptures représentant les objets de notre quotidien, émergeant de fouilles archéologiques futures. Exposées comme découvertes énigmatiques, elles questionnent la surconsommation de notre société contemporaine et la distribution à outrance mondialisée. Imaginer et fantasmer les traces, ruines et vestiges qui subsisteraient de notre civilisation pose l’hypothèse d’un futur pensé comme incertain.

A l’opposé de l’anthropologue, Antoine Bondu se rêverait en écologue, mettant plutôt la nature que l’homme au centre de ses préoccupations. Pour notre part, c’est en artiste qu’il nous intéresse et qu’il permet alors à chacun d’imaginer son scénario d’anticipation. De l’hypothèse d’une autodestruction de la planète à la redite d’un épisode pompéien, quelques indices cosmiques flottants ou ensevelis fossilisés pourraient troubler les générations futures voire les aliens. Nous, créatures disparues, étions-nous simples téteurs passifs de soda ou géniaux concepteurs des plus beaux péristyles ?
Le pessimiste a sa réponse, ajoutant que tout était écrit déjà dans le marbre. Nous, plus badins, démasquons et savourons la fiction, le plâtre aidant.

 

 

 

Camille Castillon ou Les hybridations singulières d’une lectrice

Dans la catégorie « à lire prochainement » de ma bibliothèque, « L’éloge de l’ombre » de Junichirô Tanizaki dont je ne connais à ce jour que quelques citations qui entretiennent le rêve, telle « […] nous autres Orientaux nous créons de la beauté en faisant naître des ombres dans des endroits par eux-mêmes insignifiants ».
Constamment intriguée par l’habitat et ses formes, je découvre au détour d’une lecture le village de Tiébélé et en admire la peinture ornementale, géométrique, qui orne les façades de ses architectures de terre.

Lorsque FAIT se met en place, Sébastien Pons, commissaire de l’exposition, choisit non pas de demander à Camille Castillon une pièce mais lui assigne deux espaces dont un mur percé de trois hautes fenêtres. C’est à partir de cette restriction que les influences diverses qui donneront lieu à ce travail sont ramenées au-devant des préoccupations de la jeune artiste, le titre, « L’éloge de Tiébélé » donnant des indices au spectateur pour lui permettre de remonter aux références à l’origine de la pièce.

Camille Castillon sait bien, sans s’en accaparer, que la réalisation des décors des cases et maisons de Tiébélé, ce village référence du Burkina Faso, est réservée aux femmes. En symbole, dans certaines sociétés traditionnelles, lorsque sa pointe se dirige vers le bas, le triangle est féminin et masculin avec la pointe vers le haut. En motifs peints ou ciselés, ils sont ouvertures, silhouettes ou géniteurs d’ombres portées, créant tous les plans nécessaires à l’harmonie et l’équilibre de la composition alors pleinement picturale. De quoi penser et de quoi rêver. Tout ce que disait espérer le commissaire, en préambule à la construction de l’exposition… que l’on ne verra donc finalement pas.
Mais, Camille, tout comme les autres jeunes artistes, eux, nous les reverrons !

 

Jean-Paul Guarino

 

 

 

Esban-École supérieure des beaux-arts de Nîmes, Nîmes (30)
Hôtel Rivet
FAIT
Œuvres de Salomé Angel, Sara Bernasconi, Antoine Bondu, Flora Bongiovanni, Olivia Bonnafoux, Marick Bosschem, Cécile Cantabella, Charlène Carmona, Camille Castillon, Geoffrey Chautard, Arnaud Guy, Fanny Hugot-Conte, Thibault Imbert, Chenhao Li, Clara Nebinger, Édouard Paris, Jingyue Zhang
Commissariat de Sébastien Pons