Un début de festivités peut-être emblématique. L’affiche l’annonçait, c’était supposé danser à Montpellier, même si on n’y est pas farouchement attaché. Ces premiers jours donc, pour commencer, quelques spectacles mais qui s’oublient d’eux-mêmes.
L’un moralisateur hyper esthétisant, à l’abri de la bien-pensance, ne travaillant que la culpabilité via seuls mots et images et finissant grotesque et d’autres qui se contredisent entre eux, à ne pas faire danser certains, sportifs, qui ne savent pas, ou à en faire danser d’autres, amateurs, qui ne savent pas non plus, et quand ça danse, comme l’autre soir à l’Opéra, devenu temple « camp » deux heures durant, ça ne s’arrête plus et si on y est presque, on n’y est pas quand même – quelque chose d’une décadence institutionnelle.
Déboule alors une canadienne. Peut-être que là, déjà, tout est dit, une artiste à plus de 5000 kilomètres de nos travers franchouillards. Elle est là et elle ne l’est pas, cette Daina Ashbee, lors de « Serpentine », première de ses 5 pièces qui seront montrées lors du festival.
C’était vendredi 25 juin, on entre dans l’intime Studio Cunningham et on prend place, assis sur une chaise ou accroupi ou en tailleur par terre, à même le plateau où un corps est déjà là, nu, immobile, en position mi animale mi fœtale, comme épousant le sol. Elle et nous, tous sur le même plan.
Et elle ce n’est pas elle. Ce n’est pas Daina Ashbee mais Areli Moran, son interprète, et ce, nous l’apprendrons plus tard, ce qui confirmera un de nos troubles de spectateur.
On ne peut plus lentement, le corps s’éveille, se délie en poses sculpturales de torrides statuettes guatémaltèques ou picassiennes, entre art et tribal et on en connaît les porosités, sur de longues notes d’orgue, basses, venant comme en écho de loin ou d’un profond. Ce corps, en pleine indigènité, se déploie alors, tutoyant notre imaginaire et nos savoirs, révélant même une vision de louve mythologique avant, face et corps au sol, en communion avec sa mémoire, de se mouvoir, ramper telle une pénitente, progresser, tout en force et en troublante douleur, en Serpentine.
Si ce titre, en anglais comme en français, nomme la ligne d’ondulations reptiliennes, il se réfère aussi à la figura serpentinata du style maniériste des études de nus académiques.
En bout de calvaire, l’ascète s’arrête, se lève ou se relève, retourne à son point de départ, se recoiffant, se retrouvant, refaisant corps avant de recommencer, refaire son parcours, le corps oint aussi de sa propre sueur, et cela sera encore revécu et encore répété.
Interprétée par l’autrice, c’est une performance cérémoniale cathartique où son héritage archaïque croise une liberté des plus contemporaines avec répétition de l’épreuve pour exutoire. Jouée par une autre, la pièce devient solo, autobiographie par procuration ou fiction, et la répétition de l’épreuve travaille alors tant l’interprétation et ses limites que notre regard et son éventuelle acuité.
Dans un cas comme l’autre ou dans les deux, comme on le souhaite, de troubles en émotions, on reçoit, on ressent, on partage, ce que l’on pourrait appréhender comme une expérience personnelle et pourquoi pas intime.
Cet air d’outre-Atlantique, violent et frais à la fois, souffle comme exotique sur les souffrances vécues par les interprètes, et les spectateurs aussi, lors des performances surjouées trop habituellement subies sur notre vieux continent.
On en redemande et on en a eu. Quelques jours plus tard avec « Unrelated » et d’autres à venir mais pas vus encore, « Pour », « Laborious Song » où, au centre, ce sera un corps d’homme cette fois-ci et « When the ice melts, will we drink the water ? ». Jusqu’à la lie !
Jean-Paul Guarino
Serpentine – fut donné le 25 et 26 juin
Direction artistique et chorégraphie : Daina Ashbee
Interprétation : Areli Moran
Conception sonore : Jean-François Blouin
Unrelated – fut donné le 28 et 29 juin
Production, direction artistique, conception, chorégraphie et scénographie : Daina Ashbee
Interprétation : Irène Martinez, Areli Moran
Lumières : Timothy Rodrigues
Musique : Bashar C#
Pour – sera donné le 1er et 2 juillet
Production, direction artistique, chorégraphie et décor : Daina Ashbee
Interprétation : Irene Martinez
Conception sonore : Jean-François Blouin
Conception lumières : Hugo Dalphond
Laborious Song – sera donné le 3 et 4 juillet
Chorégraphie, production : Daina Ashbee
Interprété par et en collaboration avec Benjamin Kamino
Lumières et direction technique : Karine Gauthier
Compositeur : Gianni Bardaro
When the ice melts, will we drink the water ? – sera donné le 7 et 8 juillet
Production, direction artistique, conception, scénographie, interprète à la création : Daina Ashbee
En collaboration avec l’interprète : Esther Gaudette
Avec : Greys Vecchionacce
En collaboration avec le compositeur : Jean-François Blouin