Lettre d’Hyères – Géraldine Pigault

Hyères

J’ai pris pour habitude, voilà quelques années, de grimper dans les hauteurs de Hyères, sous les ruines d’un château fort qui a vu autrefois passer Saint Louis en retour de croisade, et plus tard, dans un tout autre contexte, Cocteau. J’effectue cet étrange pèlerinage annuel à la Villa Noailles, joyau de béton taillé par Robert Maller-Stevens, qui reçoit quatre jours durant, le Festival International de la Mode et de la Photographie. La 33ème édition, présidée par Haider Ackermann, comprenait dans son jury Tilda Swinton, fantomatique, comme une Ophélie shakespearienne. Sous la pinède, loin des palpitantes semaines de la mode et autres agapes mode données en capitale européenne, les temporalités s’étirent, ravivent parfois des romantismes disparus.

Aller à cette époque à Hyères, ressemble à une sorte de Voyage à Cythère, plaisant et troublant. Gérard de Nerval écrivait bien, dans les pages de Voyage en Orient, avoir vu un pendu dans la végétation méditerranéenne. Puis, Watteau peignait des tenues pastel ahurissantes, peu propices à l’activité pédestre. Ce monde parallèle, insulaire, a son pendant à Hyères. Le festival de la Mode et de la Photographies montre parfois, à l’époque contemporaine, ce que fut Cythère dans l’imaginaire artistique dès le XIXème siècle. L’impression de déjà-vu, ces créations en pièce unique au beau milieu d’un panorama naturel immense, sont les résurgences d’un lexique artistique du symbolisme.

Il règne invariablement, au cœur de l’événement dédié à l’esthétique de la parure, une ambiance propice à l’appréciation du temps long. Peut-être parce que l’on peut observer la mer depuis les ouvertures de la Villa. Chaque pan de ciel prend son importance, à travers les fenêtres sans vitres du jardin. Au-delà de la valeur contemplative des éléments, ceux qui se laissent apprécier aux showrooms ont changé. Le culte du ravissant a trouvé ses limites. L’accessoire signe l’avènement d’une nouvelle façon d’envisager la mode. Le fond parfois dépasse enfin la forme. L’utile transcende l’esthétique ornementale. Les créateurs d’aujourd’hui vont au-delà du bel objet.

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Dans les étages supérieurs de la Villa, les créations des designers en lice pour le prix Swarovski de l’accessoire de mode m’ont souvent fait sourire, comme un divertissement. Et parfois, je suis restée sans voix, un peu plus longtemps devant certaines œuvres, car il s’agit bien de les nommer ainsi. J’ai pensé à L’Eau des collines, diptyque quasi centenaire de Pagnol, quand j’ai vu dodeliner ces boucles d’oreilles éphémères montées sur des épis de blé, gousses d’ail ou d’immortelles. Non pas parce qu’il s’agit là d’un travail d’orfèvre de la main de l’homme, mais d’une grande attention portée sur la grâce particulière du paysage de garrigue méditerranéen. Il y avait de l’audace, de la vitalité, du côté des lauréates, Kate Fichard, Flora Fixy, et Julia Dessirier. Le trio a appuyé sur la dimension sociale de la mode, avec Earring, une collection d’appareils auditifs luisants comme l’or et l’onyx. Depuis les contes du Pentamerone, il n’y avait pas eu de bijoux à vertu si merveilleuse. Enfin. Et tant mieux.

C’est dans ce même ordre d’idée qu’on poursuit le voyage à Hyères jusqu’au hangar de la Mouture, planté entre les salins des Pesquiers et les palmiers centenaires. Les créateurs émergents, toujours là au défilé qui a vu le duo Rushemy Botter et Lisi Herrebrugh remporter le Grand prix du jury. Leur collection masculine baptisée « Fish or Fight », peuplée de poésie et dissonances, mêlait le caractère désuet du vêtement des pêcheurs de fortune des Caraïbes (dont Botter est originaire) à l’effet burlesque du streetwear actuel. Catalyseurs de ce parti pris, des filets de pêche amarrés aux vestes satin des mannequins et quelques accessoires de plage démesurés ont joué sur cette plage alors magnifiée, qui n’existe que dans leur esprit, et aussi quelques minutes, le temps du défilé.

Conscients des enjeux de la fast-fashion, prompte à engloutir des kilomètres de tissu, les nouveaux talents de la mode façonnent une autre approche, avec les moyens du bord. La seule volupté ne suffit plus. Dans le showroom sis sous les pins maritimes, Vanessa Schindler attire tous les regards avec ses pièces ourlées de silicone transparent. Je tente de converser avec un jeune designer finlandais, légèrement en retrait. Il ne se considère pas comme un artiste. Davantage comme quelqu’un qui « fait du streetwear et pourrait être fauché dans quelques semaines. » Nous sommes à mille lieux des arcanes de la mode qui vend vite, qui vend plus. Dans ces moments-là, le festival, comme laboratoire expérimental, existe au-delà du simple état transi d’être au monde, perché face à la mer.

Jean-Pierre Blanc, iconique directeur de l’événement, force pour sa part l’admiration. Pas question de béatification, mais de la juste reconnaissance d’un travail de fond qui amène une partie du sérail et des maisons de couture à se déplacer en bord de Méditerranée avant la grand’messe estivale. De l’organisation des dîners dans des restaurants de plages ou de l’ascension sur les hauteurs hyéroises, tout mouvement collectif prend une tournure singulière, presque ascétique. Insulaire, donc.

J’aurais pu écrire plus, écrire mieux, écrire sur l’instant, l’ordinateur sur les genoux, tout de suite,.. Il n’en a rien été. Le caractère fugace, éphémère, du FIMPAH (acronyme hideux, j’en conviens, pour un si bel amour de la création) en aurait souffert. Mais il y avait bien des impressions, des tournures, que j’ai pensé à coucher sur le papier. De tels jours relèvent du paradoxe, parce qu’institutionnels et soutenus par le Ministère de la Culture, mais instinctifs et inattendus, joyeux et charmants. Comme la vitalité des jeunes designers capables de tout miser sur une collection, à l’heure d’une concurrence nourrie par l’offre pléthorique.

S’il est à retenir une constante de cette 33ème édition, il s’agit, je crois, du geste artistique né de la contrainte. Les hommages aux corps empêchés, par la géographie, par l’altération physique ou le milieu socio-professionnel, se sont multipliés par la création photographique et vestimentaire. Dès lors, on peut espérer que la mode, éblouissante dans la sculpture de ses lignes, surpasse sa vocation première, purement esthétique. Au-delà du cisèlement virtuose, elle irait à contre courant de « L’art pour l’art*», de ses origines purement parnassiennes. Les créations montrées à la Villa Noailles forment d’ailleurs un faisceau d’indices de cette mutation en cours. Peut-être pas encore humaniste, mais probablement éloquente.

* Slogan de Théophile Gautier in Émaux et Camées

 

 

Géraldine Pigault