« 4 » nouvelle création de Rodrigo Garcia à hTh, Montpellier – Marie Reverdy

4gallo

Trouver le point I

« Les maisons ont peut-être des mansardes, mais sous les mansardes, il n’y a plus ni peur ni lutins
Putains de voisins de merde : ils ont débarrassé les mansardes de leurs fantômes
Et ils vont jusqu’à la porte, ils sortent la clé de leur poche, ils tournent deux fois vers la droite, et c’est la porte ouverte sur un hyperréalisme infect » *

L’art pourrait se définir comme cette mansarde, et sa capacité à générer de la peur, car la peur, chez  Rodrigo Garcia, est un motif récurrent. Elle est l’expression d’une capacité à imaginer, à éprouver, à frissonner. Elle est une ouverture sur un monde possiblement effrayant car inconnu, un monde fictif. L’artiste est celui qui ouvre une brèche, qui donne à voir le potentiel de la mansarde, mais qui laisse au spectateur le soin d’y voir ou non la présence d’un lutin. C’est l’idée que Rodrigo Garcia n’a cessée de défendre lors de la rencontre qui a eu lieu le mardi 20 octobre à La Vignette, alors qu’il était en pleine répétition de 4. Citant Joseph Beuys, il affirmait que « nous sommes tous des artistes » et qu’assister à un spectacle suppose, chez le spectateur, une opération créatrice. Mais susciter l’imagination du spectateur suppose également de s’y laisser soi-même prendre, en tant qu’artiste. Ainsi l’avait-il annoncé « je ne supporte plus qu’un acteur parle au public, parce que j’ai fait ça toute ma vie. Répéter cette convention tue l’imagination de tout le monde ».
4  referme ainsi le quatrième mur, du moins dans un premier temps et, ce faisant, souligne la présence pure des êtres qui se meuvent sur scène dans une composition fictive où se croisent des coqs en basket, des enfants-femmes tout droit sorties d’un concours de beauté qui, loin des jurys et des mamans en pleurs devant le diadème remporté ou perdu, dansent et boivent des cocktails, ainsi qu’un samouraï leur racontant ses souvenirs d’enfance chez l’oncle Luis. Aucun symbole cependant, pas plus que dans les précédentes œuvres de Rodrigo Garcia. Juste une brèche ouverte et la poétique qu’elle dévoile ; celle de la nuit et ses mystères, celle de la friction entre la question de la pureté et celle de la souillure, le désir et la frustration, l’attachement viscéral à l’autre et l’immuable sentiment de solitude. Mais si l’image est claire, elle n’en est pas moins contradictoire, cultivant un art du paradoxe, par la paralysie que provoquent les chaussures de sport sur les pattes des coqs, immobiles, pendant plus de la moitié du spectacle, autour d’une peau de renard.
Cette absence de symbole invite le spectateur à une « vision tautologique » – What you see is what you see –  à laquelle on ne peut que rajouter notre part, qui consiste à croire au lutin dans la mansarde. Non pas croire que le samouraï est vrai, mais croire qu’il y a un samouraï qui sommeille à l’intérieur de celui qui raconte son enfance, comme une image mythique échappée par erreur, expulsée en même temps que l’air qui permet la parole.
Dans cette poétique de la brèche, il convient de penser le « point d’Inquiétude » qu’évoquait Georges Didi-Huberman à propos de l’acte de voir, l’instant où travaille en nous ce qui nous regarde, nous concerne, dans ce que nous voyons. L’art non pas comme vision esthétique du monde, mais comme miroir de la conscience ; le spectateur mis à nu par ses œuvres. Le « point d’Inquiétude » définit ce moment précis où ce que nous voyons semble nous regarder avec bien plus d’intensité que nous ne mettons à la contempler ; ce moment précis où, poussée par le désir de regarder à l’intérieur de la brèche, je m’effraie d’y voir ma propre image en train de m’observer. Vivre cette expérience face à une œuvre suppose une latence, le temps d’ouvrir la porte de l’horlogerie et de s’installer chez l’oncle Luis. Mais cette latence peut se manifester dans la tempête et apparaître avec la rapidité de l’éclair déchirant le ciel, à condition que celui-ci soit chargé d’électricité. Dans la surabondance de bruits, de musique, d’images, de matière, c’est le texte projeté qui nous fixe avec le plus d’insistance et de persistance : « La nuit tombe comme une merde », « à cinq heures du soir, on a une parodie de ténèbres », « « il faut trouver cette personne avec qui passer un moment », car « l’origine du monde fut la destruction du néant ».

* Rodrigo Garcia, Daisy, Traduction de Christilla Vasserot, Editions Les Solitaires Intempestifs, Besançon, 2014, p.65

 

Marie Reverdy