Dans Les Bas-fonds du Baroque, au Petit Palais, une étrange Vénus : Jeune homme au chat (1620-1622) de Giovanni Lanfranco. Le tableau appartenait à la reine Christine de Suède. On imagine avec un frisson de plaisir notre reine habillée en homme, fumant la pipe, et tirant le rideau qui recouvrait la peinture, façon de déciller l’œil d’un amateur avisé. Double effet Kiss Cool transgenre. Allongé sur un lit entouré de tentures, le drap repose sur la taille, il tourne le visage vers nous, son buste d’une légère torsion en contrapposto fuyant vers l’arrière-plan, il caresse un chat noir et blanc. Le chat, symbole diabolique, lance un regard aussi doux à son maître qu’est brillant celui du modèle vers le peintre qui tient le pinceau, et vers nous, rien de moins. Le XVIIe siècle a levé le voile sur la sexualité, aussi prompte à apparaître que la pauvreté, lointaine époque, notre grande sœur.
C’est par des voiles blancs comme l’hymen que d’autres créatures, mâtinées de mythologie et d’organicité flottent dans des aquariums au Crédac pour un retour d’outre-tombe de Bruno Pélassy, mort du sida en 2002. En guise d’une Vénus anadyomène, deux dômes de dentelle à l’aiguille incomparablement translucide et fine, comme si le scrotum avait été vidé de ses couilles et jeté sur le regard tel un baume de plénitude et de langueur. Les couilles aussi, comme les méduses de Paul Valéry et la danseuse de Mallarmé qui n’est ni femme ni danse, ont leur écriture corporelle et tiennent lieu de métaphorisation lorsque le scrotum, libéré de gravité et de jouissance, se métamorphose en précieuse matière de légèreté et de repos, Relaxing balls (2000).
Dans une autre salle, une VHS bien fatiguée diffuse Sans titre, Sang titre, Cent titres (1995). 45 minutes de boucles d’extraits de films de Salo à Shining, en passant par La passion de Jeanne d’Arc de Dreyer et le visage de la Falconetti. Au-delà de l’obsession, qui revient et ouvre à la plus grande détresse de savoir qu’on ne sort pas de ce qui pince l’âme malgré le plaisir du mixage, Pélassy pratique la mise sur pause. Un filet de parasites analogiques fait trembler l’écran défigurant l’image. La belle affaire que ce revers de vingt ans dans un monde léché par le numérique : où passe le temps une fois trouvé le moyen de l’arrêter ? Dans un geste minimal qui rappelle et répète qu’une histoire est une affaire d’écart, une simple pression du doigt. Boucle et pause façon haute-couture.
Corinne Rondeau
Bruno Pélassy
Centre d’art contemporain d’Ivry – le Crédac, Ivry-sur-Seine (94)
jusqu’au 22 mars 2015