Léopold Rabus, artiste suisse de 38 ans, présente actuellement de grands et très grands formats dans l’espace municipal du Carré Sainte-Anne à Montpellier.
« Je souhaite que l’on regarde mes tableaux comme on écoute un morceau de musique » dit-il.
La grandiloquente partition m’a échappé.
Un accrochage simple – chaque cimaise accueillant un tableau – donne, dès l’entrée, vue sur des murs d’images. Loin de la représentation, celles-ci paraissent telles des reprises photographiques – non dans leur cadrage mais dans l’assemblage de différentes vues issues de différentes focales supposément utilisées.
Les improbables perspectives ainsi créées pourraient nous éloigner du réel mais les dimensions, respectueuses de ces mêmes focales, des personnages et objets représentés, nous en empêchent, transformant les fonds en décors.
Les éclairages, volontairement réglés faibles, de la salle d’exposition pensent rejouer l’ambiance peinte, enrobant les toiles d’un halo protecteur. Une lumière crue aurait révélé la palette assez personnelle du peintre plutôt que de l’entraîner vers une doucereuse nostalgie. D’autant que pour contrebalancer les nombreux contre-jours, on devine les coups de flash portés vers les sujets des premiers plans lors de la fabrication des images. L’étonnante tonalité jaune olivâtre que l’on retrouve dans presque toutes les peintures, bascule alors vers un vert mousseux, lui en soustrayant sa part électrique. Un éclairage au néon aurait véritablement mis à l’épreuve les peintures et révélé la part contemporaine du traitement de la lumière plutôt que de tenter de la connecter à un héritage ainsi accaparé. Mais l’artiste lui-même se dit fasciné par les grands maîtres des siècles passés ; ce trop de désir de références, jusqu’au pompiérisme, phagocyte une subjectivité qui aurait les moyens d’être exacerbée.
Les formats, angles de vues, sujets et lumières sur-théâtralisent les granges et intérieurs qui accueillent les scènes représentées et, dépassée par ces formats spectaculaires, la peinture occupe alors emphatiquement de larges plages.
Les petits formats qui n’ont pas à se confronter aux problématiques de la composition et traités sans aucun effet maniériste – hormis leur accrochage – sont, en revanche, délicats.
Le peintre a souhaité enfin accompagner ses toiles, au sein de l’espace, d’un environnement paysan teinté de mélancolie. L’ambiance créée peut être vue redondante et détourner autoritairement le travail de la peinture vers l’idée d’un « univers » comme pour mieux l’assister.
Si certains sont parfois trop cléments avec les nouveaux médiums apparus au XXe siècle, on a tendance à être plus sévère avec la peinture et sa riche et longue histoire. On n’a pas à attendre d’un peintre qu’il soit un génie mais, même armé de talent, le temps doit œuvrer aussi. Encore faut-il que celui-ci décide de continuer à écrire l’histoire.
Cette proposition aura le mérite – auprès du large public local peu souvent invité à approcher la création actuelle – de rendre présente la figure. Alors qu’au musée Fabre, qui peut être la référence en peinture pour nombre de montpelliérains, si la figure est au centre des œuvres – des primitifs italiens jusqu’au milieu du XXe siècle – elle est ensuite, à une écrasante majorité, évanouie, pouvant laisser supposer que la peinture récente ne pourrait être qu’abstraite et alimentant ainsi une opposition, caduque depuis des décennies, entre figuration et abstraction.
Jean-Paul Guarino
Léopold Rabus
Carré Sainte-Anne, Montpellier (34)
27 février – 3 mai 2015