Être et Avoir #1 – École des beaux-arts de Nîmes (30)

 

CP  E^tre et Avoir #1

 

Être et Avoir

Emprunté au très populaire film de Nicolas Philibert, le titre générique « Être et Avoir » désigne un cycle d’expositions organisé par l’ESBAN, dont le premier volet se tient cet automne à l’Hôtel Rivet, le second à
l’automne 2015. Le projet, montrer des « collections » appartenant à quelques-uns des enseignants de l’école, vient éclairer l’expression.
La visée première de ces manifestations n’est certes pas pédagogique, mais celles-ci permettront de marquer, sous un angle inédit, l’une des spécificités et vertus des écoles d’art : leur prise directe sur les mondes de l’art. C’est en tant qu’artistes, commissaires ou critiques qu’exercent les professeurs, et c’est en tant que tels qu’ils rassemblent, autour d’eux, des objets et des œuvres. Et dès lors que l’exposition s’offre comme ce moment où l’adéquation entre être et avoir devient palpable, elle peut aussi fonder un acte de transmission.
Rares (en France du moins) sont les expositions et ouvrages consacrés aux collections d’artistes, à l’exception notable de celle qu’organisa en 2001 la Collection Lambert en Avignon. Or, s’il est une catégorie importante de « collecteurs », depuis Vasari, ce sont bien les artistes, dont l’attitude se caractérise par quelques traits saillants. L’échange – entre eux ou avec un galeriste – constitue un moyen privilégié d’acquisition.
L’éclectisme est fréquent, les objets d’ancienneté et de provenance fort diverses autant que les choses de peu de valeur et les raretés voisinant sans hiérarchie. La plupart des artistes vivent au milieu des découvertes, y compris au sein des ateliers. Il n’est pas surprenant que la majorité d’entre-eux refuse de se reconnaître comme « collectionneur », quand bien même le nombre d’items atteste une attitude accumulatrice – parfois compulsive – semblable à celle de bien d’autres collectionneurs. Car, se faisant souvent au gré des rencontres, la collecte doit rester au second plan de la pratique artistique qui les mobilise avant tout, à moins qu’elle ne serve celle-ci.
Semblables particularités se retrouvent dans les collections d’enseignants artistes, mais, en cette occasion, leur choix s’est porté sur des ensembles homogènes, peu révélateurs de la diversité effective de certaines d’entre elles. L’une des deux premières sélections d’ « Être et Avoir » est composée de 150 numéros de Paris Match, que Jean-Marc Scanreigh a patiemment regroupés. Parus entre 1949 et 1981, ces revues témoignent du jeu médiatique auquel Picasso s’est prêté, participant activement à l’élaboration de son propre mythe. Jean-Marc Scanreigh a décelé dans ce jeu les prémices de certaines conduites actuelles.
Pour la seconde sélection, Audrey Jammes a réuni, grâce au troc, des affiches de type DIY – pour « do it yourself » –, relevant de la microédition. Échappant à l’économie et aux circuits ordinaires de l’art, ces réalisations dénotent des conceptions de l’oeuvre et de l’artiste aux antipodes de celles, dominantes, que véhiculent les médias.
À l’automne 2015 suivront trois propositions, parfois moins exclusives. Jean-Marc Cerino montrera des fétiches et statues d’art dit « premier », riches en ossements, et des photographies anciennes. Ces collectes ont pour commun dénominateur l’anonymat de leurs auteurs, et entretiennent un lien avec la disparition, notions qui animent la démarche du peintre. Parmi d’autres possibilités, Hubert Duprat a choisi de donner à voir des oeuvres qu’il a acquises auprès d’étudiants de l’ESBAN durant de longues années, manière de prendre la mesure de leurs devenirs contrastés et, partant, d’interroger notre métier. Enfin, les œuvres que je souhaite présenter sont celles d’artistes de différentes générations sur lesquels et avec lesquels j’ai jusque-là conduit mon activité d’auteur-critique d’art.
À l’évidence, les motifs qui sous-tendent ces collections débordent les considérations d’ordre esthétique, ce qui les distingue probablement des « collections de collectionneurs ». Si celles et ceux qui se prêtent au jeu révèlent ici un peu de leur pensée de l’art et de la vie, ce n’est pas pour donner lieu à quelque spéculation biographique ou théorico-critique. Ici, la collection témoigne de visions artistiques, de perspectives intellectuelles et de dialogues amicaux, non d’attitudes fétichistes. L’être et l’avoir s’y conjuguent, sans souci de construire une image ou d’asseoir un pouvoir, fût-il symbolique. Ces manifestations trouvent ainsi pertinence dans une école où l’exposition est interrogée de multiples manières, s’agissant de recherche théorique, de modes opératoires, de transmission, et, en somme, d’une pratique pleine et entière de l’art.

Natacha Pugnet, août 2014 in Offshore #36

 

 

Être et Avoir
École des beaux-arts de Nîmes
Hôtel Rivet, Nîmes (30)
Exposition réalisée dans le cadre de l’Atelier Recherche et Création / Pratiques de l’exposition
6 novembre – 19 décembre 2014
vernissage le mercredi 5 novembre 2014 à 18h