S’il est une chose indéfendable en art c’est bien d’évaluer par comparaison, mais les faits sont là.
« Jérémie revient à Saint-Martial pour l’enterrement de son ancien patron boulanger. Il s’installe quelques jours chez Martine, sa veuve. Mais entre une disparition mystérieuse, un voisin menaçant et un abbé aux intentions étranges, son court séjour au village prend une tournure inattendue… »
Vendredi 18 octobre, veille du début de Cinémed 2024 – 46e édition du Festival Cinéma Méditerranéen de Montpellier – Alain Guiraudie, lors du visionnage de sa « Miséricorde », nous invita subtilement dans son singulier univers où dans un crépuscule automnal cévenol, à la recherche de cèpes apparaît la phallique morille, spécimen toxique à l’état cru mais comestible après cuisson et poussant au printemps en temps dit normal. L’appel du désir porte le personnage central du film de retour sur sa terre et la force des désirs le condamne à y rester.
Bien embarqué dans cette fantasque aventure avec, comme dans « L’Inconnu du lac », ce fichu vent, du Larzac cette fois, qui fait tourner les têtes, je restais néanmoins focus sur mon projet initial de traverser la Méditerranée et d’aller voir, du côté de l’Atlas, « L’audace du jeune cinéma marocain ».
Dans le cadre de cette ainsi baptisée section, samedi 19 octobre, Salle Rabelais, 12h00, était projeté
« Déserts » (2023) de Faouzi Bensaïdi juste avant « Sofia » (2018) de Meryem Benm’Barek à 16h30 à l’Opéra Berlioz du Corum.
« Mehdi et Hamid travaillent pour une agence de recouvrement à Casablanca. Les deux pieds nickelés arpentent des villages lointains du grand sud marocain pour soutirer de l’argent à des familles surendettées… »
Obligé de reproduire le pitch annoncé car « Déserts » de Faouzi Bensaïdi – qui n’est pas un perdreau de l’année puisque né en 1967 – n’est qu’une fiction au filmage des plus classiques au service d’une écriture en suite de sketchs, laborieusement interprétés, et bien loin de la dimension critique de « L’argent de la vieille » du Comencini, fort justement célébré lors d’une rétrospective dans cette édition du festival.
« Sofia, 20 ans, vit avec ses parents à Casablanca. Suite à un déni de grossesse, elle se retrouve dans l’illégalité en accouchant d’un bébé hors mariage. L’hôpital lui laisse 24h pour fournir les papiers du père de l’enfant avant d’alerter les autorités… »
La réalisatrice Meryem Benm’Barek, née en 1984, au sein d’une fiction axée sur les travers sociaux et sociétaux marocains parvient pertinemment à nous transmettre comment le poids de la tradition pervertit l’innocence jusqu’à en faire avorter son essence-même malgré un néo-progressisme féminin convaincu mais défait. It’s a long long way…
Peut-être en héritage civilisationnel aussi, la caméra est plus pertinente quand il s’agit plus d’évoquer que de s’étendre sur un sujet tel le mariage final que lorsqu’il s’agit de témoigner lourdement de sentiments, soit les tourments en gros plans de ladite Sofia.
Lundi 21 octobre, 16h30, séance enchaînée de 6 courts métrages à la salle Rabelais.
« Les Poissons du désert » (2015) de Eddine Aljem Alaa, né en 1988.
« Qu’importe si les bêtes meurent » (2019) de Sofia Alaoui, née en 1990.
« Le Grain de ta peau » (2016), « Ayam » (2017), « Le Corps poreux » (2018) et « L’Ombre des papillons » (2022) de Sofia El Khyari, née en 1992.
Le premier court métrage du programme, « Les Poissons du désert » parut très très long. Plus storyboard animé et scolaire que film libre, rien ne nous échappe et même les paysages, pourtant beaux sont relégués à un statut de décor.
Suivit, « Qu’importe si les bêtes meurent » de Sofia Alaoui.
« Dans les hautes montagnes de l’Atlas, Abdellah, un jeune berger et son père, sont bloqués par la neige dans leur bergerie. Leurs bêtes dépérissant, Abdellah doit s’approvisionner en nourriture dans un village commerçant à plus d’un jour de marche. Avec son mulet, il arrive au village et découvre que celui-ci est déserté à cause d’un curieux événement qui a bouleversé tous les croyants. »
Proposition la plus aboutie de cette section, une bonne photo est au service d’une fiction bien filmée et justement rythmée avec une caméra vive et décidée même si on eût préféré que le versant science-fiction questionne plus l’inquiétude que le mystère.
Les 3 courts métrages suivants, de Sofia El Khyari, témoignèrent de la progression de la réalisatrice d’animation – dont le genre est tout juste naissant au Maroc – qui parvint, dans sa quatrième proposition à trouver une certaine assurance et canalisant mieux les mots et le dire, s’éloigna enfin d’une primaire illustration pour mieux tutoyer une plus délicate évocation.
Mardi 22 octobre, 14h00, « Animalia » (2023) de Sofia Alaoui, présenté à l’Opéra Berlioz du Corum.
« Itto, jeune marocaine d’origine modeste, s’est adaptée à l’opulence de la famille de son mari, chez qui elle vit. Alors qu’elle se réjouissait d’une journée de tranquillité sans sa belle-famille, des événements surnaturels plongent le pays dans l’état d’urgence. Des phénomènes de plus en plus inquiétants suggèrent qu’une présence mystérieuse approche. Seule, elle peine à trouver de l’aide… »
La caméra toujours bien vivante et un attachement aux couleurs contrastées nous renvoient au court métrage de cette même réalisatrice vu la veille mais, pour le dire simplement, celle-ci fut nettement plus convaincante sur la forme réduite. En 1h30 de ce road-movie qui est parallèlement un voyage intérieur, il y a tout et trop, du réalisme à l’anticipation, de l’onirisme au surréalisme, de l’allégorie à la métaphore, de la critique sociale à l’environnementale, de l’athéisme au religieux et on pourrait encore en rajouter. Certes, porter un enfant est plus qu’une aventure, un délire quand même pas.
En apnée le mercredi 23 octobre.
12h00 « La Mère de tous les mensonges » (2023) de Asmae El Moudir.
14h00 « Le Miracle du Saint Inconnu » (2019) de Eddine Aljem Alaa.
18h30 « Reines » (2024) de Yasmine Benkiran.
21h00 « Burning Casablanca » (2020) de Ismaël El Iraki.
A posteriori, le long métrage qui sort du lot, qui s’imposera haut la main lors du programme de cette journée, c’est le premier projeté, « La Mère de tous les mensonges » (2023) de Asmae El Moudir.
Au-delà d’un film réussi, il s’avère être pleinement une œuvre cinématographique et, outre toute son intelligence et son excellente qualité, d’un engagement total.
« Cherchant à démêler un tissu de mensonges familiaux, la cinéaste Asmae El Moudir reconstitue avec une maquette et des figurines le quartier de son enfance à Casablanca. À travers sa propre histoire et celle de ses proches, émergent les blessures d’un pays et se révèle l’Histoire oubliée du Maroc. »
Le lieu de tournage est aussi le lieu de représentation où œuvrent, la grand-mère, pilier central de la famille en tête, mais aussi tous les membres qui la composent, la réalisatrice comprise. C’est aussi l’atelier, lieu de fabrication de figurines, portraits d’eux-mêmes en l’occurrence, et lieu de construction des décors en maquettes, très nombreuses, d’apparence artisanales mais en fait des plus précises, des plus fidèles au réel qu’ils occupent. Plus qu’une mise en abyme, nombre de degrés de composition s’imbriquent, ce tout créant un véritable dispositif où tout va se jouer et se rejouer. La mémoire et le présent, la vérité et les mensonges, le singulier et les pluriels, les histoires familiales, parfois étriquées et souvent héritages traditionnels et l’Histoire, la grande, la nationale, mais elle aussi avec ses parts cachées voire tronquées : le psychodrame interfamilial se rallie au tragique et tristement fameux 20 juin 1981 marocain.
Dès le début, la réalisatrice équipe sa grand-mère d’appareil auditif, car tout sera dit et tout devra être entendu. Soit, un film d’une riche complexité, comme leur vie l’a été sans doute, où l’on ne se perd pas pour autant, nous, témoins de ce grand théâtre où ils racontent et se racontent, nous qui verrons et entendrons tout.
Le deuxième de ces longs métrages, qu’on oubliera vite, n’est qu’un scénario amusant mis en images sans qualité d’écriture et encore moins d’inventivité, même s’il est vrai que nous sommes loin des classiques drames sociaux bien installés dans le cinéma marocain des générations précédentes.
Le troisième film présenté, « Reines », est parfaitement réalisé. Encore un genre différent, le thriller cette fois-ci, revisité, puissant, mais teinté aussi des travers marocains et d’une poésie toute orientale. Si « audace » il y a, elle résiderait assurément dans l’attribution, par le réalisateur qui est une réalisatrice – Yasmine Benkiran –, des rôles et personnages résolument violents aux femmes alors qu’usuellement réservés aux hommes ; ces dernières en profitant pour faire la peau au patriarcat.
Le dernier film présenté, « Burning Casablanca », est empreint d’un très nostalgique « sexe drogue et rock’n roll » des années 80. Peut-être « audacieux » dans la production marocaine mais, à nos yeux, maladroit, pas moderne et encore moins contemporain, a bad trip.
Ce que l’on a vu du festival au travers de cette sélection c’est une drôle de manifestation de par son organisation bon enfant limite kermesse et, lors des projections, de son étrange public, peu averti au vu des réactions, composé toujours de nombre de têtes grises avec, pour certaines séances, véritable invasion de lycéens en récréation.
D’un festival à l’autre, vient de sortir l’appel à projet pour la future direction de l’Agora – Cité internationale de la danse qui regroupera dorénavant le Centre chorégraphique national et Montpellier Danse au sein d’une nouvelle association unique qui sera créée ce début d’année 2025 qui elle-même regroupera la fusion des missions antérieures de l’une et l’autre avec l’assurance de l’addition de leurs usuelles subventions.
Les candidatures attendues, sous forme de « direction collective », seront composées « au minimum d’un ou une artiste chorégraphique de reconnaissance nationale et/ou internationale, et de personnes dotées de compétences au niveau stratégique en management, développement, gestion et en matière de programmation artistique. »
Voilà, si ce n’est pas fait, c’est dit, et de concert, par les financeurs que sont la Métropole de Montpellier, la Région Occitanie et l’État.
Les candidats devront se faire connaître au plus tard le 31 décembre de cette année pour une prise de poste au premier semestre 2025 et ce, pour un premier mandat de 4 ans « éventuellement renouvelable ». La composition du jury de présélection et de la sélection finale n’est pas annoncée à ce jour. C’est tout de même là que tout se jouera.
Quoi qui l’en soit, si on a envie de cinéma et de complicité, à voir, 1h40 de formidables jeux de regards :
Miséricorde
Écrit et réalisé par Alain Guiraudie
Avec : Félix Kysyl, Catherine Frot, Jacques Develay, David Ayala, Jean-Baptiste Durand, Sébastien Faglain, Salomé Lopes, Tatiana Spivakova, Elio Lunetta
Images : Claire Mathon
Montage : Jean-Christophe Hym
Musique : Marc Verdaguer
Production : Charles Gillibert (CG Cinema) / Distribution France : Les Films du Losange
Jean-Paul Guarino