« L’œuvre de Vivaldi, en tant qu’ode à la nature, résonne avec les préoccupations contemporaines des deux artistes concernant l’évolution néfaste de notre rapport à l’environnement. » est-il écrit dans le programme. Donc 2 infos, la pièce d’Anne Teresa de Keersmaeker est coécrite, avec le chorégraphe Radouan Mriziga en l’occurrence, et ferait ou serait écho au changement climatique.
Voyons donc ce lundi 2 juillet au soir, à l’Opéra Comédie, ce qu’il en est et ce que ça produit. La pièce se nomme « Il cimento dell’armoni e dell’ inventione » – « La confrontation entre l’harmonie et l’invention » – et célèbre la rencontre avec « Les Quatre Saisons » de Vivaldi.
Si on peut se demander quel est le degré et le mode de partage entre les deux artistes pour la création, en revanche, rien du chorégraphique ne transpirera de leur vision de citoyen responsable.
In fine, le spectacle peut être jugé réussi, et nous ne sommes pas chiche en applaudissements comme toute la salle, à quelques très rares puristes près, bien que subsiste un arrière-goût indéfini de réticence à une entière adhésion.
Après nous avoir présenté le plateau comme Light Box en puissance – tel un White Cube scénique –, longtemps l’éclairage sera celui d’un néon orangé provenant de la salle révélant les dorures du cadre de scène et du théâtre entier et irradiant légèrement sur la scène où un danseur, à peine perceptible, s’engage dans un long prologue limite pantomime sur un lourd silence. Nous ne sommes plus dans une proposition conceptuelle ou minimale, mais carrément théorique, boring même, autant le dire.
Puis les voilà au total quatre, chacun représentant d’une saison et au quatuor de s’animer avec comme une interdiction à notre rêverie qui pourtant finira bien par arriver, avec la musique.
Ils l’accompagnent alors fidèlement, la partition musicale ayant été rigoureusement retranscrite en partition chorégraphique, et quand celle-ci est offerte c’est-à-dire que rarement, lors de quelques mesures, c’est tout juste le temps de vérification du respect du bon tempo.
Ce qui devait arriver, arriva, la danse céda, la musique se donna, le public décolla.
Alors, plein temps des ellipses, des marches croisées, des rubans de Moebius parcourus, parfaite union des célèbres pas, gestes et mouvements de ATdK – tout son vocabulaire et sa grammaire, célébrissime bras tendu sur le côté en balancier compris – adjoint à tout le lyrisme que peut déployer le hit de Vivaldi.
D’étranges adjonctions intriguèrent, clins d’œil directs au public teintés d’humour, mimes expressionnistes, citations animalières des plus figuratives, moments de pur street dance, un passage entre les claquettes de Broadway et celles à l’irlandaise où le fameux « Printemps » est donc joué du martellement des pieds mais aussi un solo de hip-hopeur, s’en prenant plein le poirier jusqu’à l’épuisement mais épuisant aussi la résistance de la danse, où tous, reprennent boucles sur boucles jusqu’à l’abandon, face à la musique triomphante. Au final, le show aussi, évidemment, obtint son triomphe.
Loin de l’exigence parfois caricaturale de l’autrice, ce tout a de quoi être questionné.
Est-ce une danse hybride ou dénaturée ? La crainte, sachant que le tube musical l’emportera d’avance sur le dansé, fallait-il, un temps, imposer ces silences de récupération d’autorité chorégraphique ? Pourquoi user de moments évalués racoleurs, fabriquer une complicité ? Est-ce céder au spectaculaire ou en tenter l’expérience ?
Quoi qu’il en soit, bis, ça embarque le public même si le travail n’est pas estampillé pur ATdK. La pièce eût été signée d’une autre, nous l’aurions trouvé pertinente, amusante et savante, réussie. Chacun devant négocier avec sa bêtise, reconnaissons que, signée ATdK, que l’on considère comme une des plus grandes chorégraphes actuelles, nous faisons la fine bouche en suite à ces entorses à sa légendaire rigueur.
Il n’y a pas de justice et ça ne date pas d’hier, ça rend la vie possible et c’est très bien ainsi.
Il cimento dell’armoni e dell’ inventione (2024)
Chorégraphie : Anne Teresa De Keersmaeker, Radouan Mriziga
Créé avec et dansé par : Boštjan Antončič, Nassim Baddag, Lav Crnčević, José Paulo dos Santos
Musique : Antonio Vivaldi, Le quattro stagioni
Scénographie et lumière : Anne Teresa De Keersmaeker, Radouan Mriziga
Poèmes : Asmaa Jama, ‘We, the salvage’, Antonio Vivaldi, ‘Le quattro stagioni’
Costumes : Aouatif Boulaich
Pièce donnée les 1er et 2 juillet 2024 à l’Opéra Comédie, Montpellier
Seul propos à retenir de la conférence de presse, tenue le matin de la représentation, et se vérifiant sur le plateau : la confiance et la foi en la danse.
Le plateau fut celui du Hangar Théâtre, nous étions le mardi 2 juillet, 18 heures pour voir « SHIRAZ » de Armin Hokmi, en quête de se replonger au sein de l’idéalisé Shiraz Arts Festival passé.
On entre dans la salle au son de percussions orientales, ils sont 6, déjà sur le plateau, se déplaçant à peine, à petits pas, seules hanches et épaules en légère action. La salle se remplissant, on prend tout son temps pour les observer, tenter de les qualifier. Une, à la blondeur nordique, révèle la tonalité caucasienne de presque l’ensemble des protagonistes, chacun renvoyant une identité personnelle spécifique, à l’image de représentants des différentes nations accueillant les iraniens en exil. Oui, le chorégraphe, Armin Hokmi fait partie de cette vaste diaspora et comment ne pas percevoir le choix du casting comme signe, discret, mais politique, révélant du coup cette même dimension dans le dispositif d’éclairage fait de projecteurs sur pieds, inclinés, penchés sur le plateau, tels des lampes d’interrogatoire. Là encore, le signe quoi qu’économe est bien présent. Tout sera ainsi, des plus délicats, les 45 précieuses minutes que durera la pièce.
La lumière baisse en salle, eux se trouvant sous de pleins feux, un bras plié, main levée au niveau du visage et des infimes déhanchés épousant la toujours même cadence. Il semblerait, mais on en doute, qu’ils dessinent des lignes qui s’évanouissent aussitôt pour se reconstituer un peu autrement un peu ailleurs un peu moins longtemps ou un peu plus, chacun ne se départissant nullement de son autonomie et toujours sur les mêmes sonorités ou à peine nuancées. Longuement, et on adhère sans pour autant être hypnotisés ou envoutés, ces subtils déplacements prennent racine et si le rythme ou le son se modifient, le « protocole » se réengage, tout en extrême concentration approchant une transe profondément intérieure en quête d’une parfaite sérénité afin de réveiller les plus intimes réminiscences, tous, ensemble.
On semble s’approcher d’un but, accompagnés d’une superbe musique électro-perse, les gestes, toujours légers mais suffisants, s’affinent, le système répétitif comme motif fait de l’esquisse un dessin plus net, les rencontres s’amplifient, se connectent et, ensemble encore, avec bien peu de repères, sans s’ignorer mais sans se regarder, en confiance aveugle, se dirigent vers un unisson, puissamment raffiné, puissamment indestructible.
Il avait dit accorder sa pleine confiance en la danse, Armin Hokmi, au travers de cette expérience qu’il nous a offerte, à nous, tous ensemble encore, en témoigne absolument.
Encore une autre voie vers la Beauté.
SHIRAZ – Création
Concept, chorégraphie : Armin Hokmi
Avec : Daniel Sarr, Aleksandra Petrushevska, Luisa Fernanda Alfonso, Efthimios Moschopoulos, Johanna Ryynänen, Emmi Venna en alternance avec Xenia Koghilaki, Charlott Madeleine Utzig
Musique : EHSXN, Reza R
Création lumière : Vito Walter
Scénographie et concept lumière : Felipe Osorio Guzmán
Costumes : Moriah Askenaizer
Pièce donnée les 2 et 3 juillet 2024 au Hangar Théâtre, Montpellier
Comme si une communauté ne pouvait être faite que d’un nombre restreint, au-delà et au-delà de la survie, la vie exigeant alors à se débattre, résister à l’inéluctable anonymat, tout prélude respecté, tout format de rencontre et expérimentation d’envol tentés, le corps ne parvient à être chair, le juste unisson devenu forme utopique s’avérera inatteignable même sous la clémence des lumières des cieux. Simple réflexion en suite à « Dancefloor » de Michèle Murray, créé pour les 24 danseurs du Ballet de Lorraine, sur le plateau nu et vierge du Théâtre de L’Agora, ce mardi 2 juillet 2024.
Dancefloor – Création mondiale
Conception et chorégraphie : Michèle Murray
Avec les 24 danseurs du CCN-Ballet de Lorraine
Objets lumineux : Koo Jeong A / Musique : Gerome Nox
Lumière : Olivier Bauer / Création costumes : Laurence Alquier
Pièce donnée les 2 et 3 juillet 2024 au Théâtre de l’Agora, Montpellier
« We learned a lot of our own funeral » – « Nous avons beaucoup appris lors de nos funérailles » – est le titre du dernier opus de Daina Ashbee, créé au Studio Bagouet de l’Agora ce mercredi 3 juillet à 20 heures.
Disons-le, nous avions été surpris, charmé, étonné, séduit, embarqué, bouleversé, il y a 3 ans dans ce même festival lors de la présentation de 5 pièces, pas moins – une vraie rétrospective même si elle était très jeune, 31 ans à l’époque – qui nous permit de découvrir cette singulière artiste et partager d’étonnantes voire inédites émotions révélées par son non moins singulier travail. Cette introduction ne flaire pas très bon, malheureusement, aussi nous n’allons pas nous étendre.
Entrant dans le Studio, nous découvrons un dispositif scénique et même environnemental très précis, semblant justement pensé, apte à accueillir tout développement. Rétrospectivement, tout comme elles furent deux sur scène, il y eut deux moments, que l’on peut rapidement qualifier de sonore pour l’un et visuel pour le second. Lors du premier épisode, dans le noir ou presque, sons de jungle, d’oiseaux, accompagnent une séquence de humming partagée, suivie d’échos de ressac au dévoilement, déshabillage comme une peau arrachée de la scène. Un nouvel espace spatio-temporel, réussi et de bon augure, amorce son installation, mais ne parvint pas, le temps passant, à s’imposer dans la seconde partie qui débute et qui s’attestera plus performée que dansée, le souci ne résidant pas, ni là ni dans la greffe avec le breaking qui ne prit pas, mais dans une distance incompressible avec les deux performeuses qui nous laissa spectateur passif, simple témoin de l’expérience vécue sur le plateau, cette fois-ci non partagée. Si un des essentiels du travail de Daina Ashbee s’exprime dans la qualité de la fragilité, celle-ci peut aussi être fatale.
Mésalliance entre un sujet qui s’avéra éloigné, comme étranger, et une forme trop prédéterminée, « fabriquée », comme répondant à l’attente imaginée d’un public qui s’il existe bien, celui, usuellement en osmose avec cette artiste précisément, justement et malheureusement, n’attend rien, si ce n’est partager de profonds états d’âme, et ça, ce n’est pas rien. A bientôt, néanmoins.
We learned a lot at our own funeral – Création mondiale
Direction artistique et chorégraphie : Daina Ashbee
Interprètes : Momo Shimada, Imara Bosco
Regard extérieur : Gabriel Nieto / Assistant de répétitions : Imara Bosco
Lumières : Vito Walter / Composition musicale : Gabriel Nieto
Pièce donnée les 3, 4 et 5 juillet 2024 au Studio Bagouet – Agora, Montpellier
BONUS, dirons-nous
Avant le bilan du festival dont nous fera part Jean-Paul Montanari ce vendredi en fin de matinée, et à défaut d’Awards attribués cette année, accordant un temps de répit à la perfidie qui m’est chère, je m’autorise néanmoins mon bilan à moi, et comme pour toutes mes chroniques, peu importe la pertinence ou la légitimité des propos, je dis.
Abdel Mounim Elallami le marocain, Armin Hokmi l’iranien, Daina Ashbee la canadienne (excepté cette fois-ci, ça peut arriver), témoignent de la puissance des dites petites formes, l’emportant, haut la main, face aux grandes compagnies, si match il y avait. Un Wampach est un des rares français qui aurait pu rejoindre ce groupe de talentueux artistes, droits dans leurs bottes, sachant qui ils sont et ce qu’ils font et ce qu’ils ne font pas, loin du formalisme institutionnel supposé attendu. Parmi ces artistes de modeste ou de toute récente réputation, peut s’adjoindre, dans une autre catégorie, célèbre, reconnu, voire riche, le coup de cœur que fut Dimitri Chamblas au travers de sa dernière création.
Quant aux « grosses machines », qui remplissent les salles et les caisses, peu d’intérêt pour ce qu’elles produisirent, ni décevant ni surprenant, à croire que la qualité est à l’inverse de la taille des jauges, dans certains cas tout du moins. La qualité est aussi l’apanage des détenteurs de la survie de la danse, pour les plus pessimistes, de son devenir, pour nous les optimistes.
Il faut aussi redire que, Jean-Paul Montanari, quand il rencontre la rareté et tout son potentiel, il sait en reconnaitre le précieux et n’hésite nullement à s’engager. S’il faut le reconnaitre, il faut aussi l’en remercier et aujourd’hui plus que jamais, à quelques mois de son éloignement de l’action, où lors, sans surprise, sera partagé de ne pas l’épargner.
Jean-Paul Guarino