Sourour Darabi, Dimitri Chamblas (bis), Taoufiq Izeddiou, Abdel Mounim Elallami – Montpellier Danse 2024, # 4

 

Le moteur de la nouvelle création de Sourour Darabi, travaillant habituellement le solo, réside dans le désir d’approcher une pièce de dimension opératique, soit réunir nombre de participants et d’arts coexistant mais aussi mettre à mal cette forme devenue élitiste, s’étant bien éloigné de la canaillerie de son origine. Le chorégraphe, iranien, souhaite évoquer son « Mille et une nuits », et non nous servir la littéralité des contes moralistes originaux, et cela teinté de l’univers queer des marginalités qui ont toujours été objets de sa militance.
Nous devions être au studio Bagouet, samedi 29 juin à 18 heures.

Et oui, ben non.
On m’avait prévenu, la veille, que pendant plus de deux heures je serai debout ou assis à même le sol, mais on m’avait aussi promis une chaise, dans un coin, pour compenser mes difficultés mécaniques.
Le lendemain, à l’entrée de la salle, l’homme en charge de je ne sais trop quoi m’a dit qu’il n’était pas question de « mettre des chaises partout ». Peut-être la mystique orientale et son fatalisme agissant déjà, même pas contrarié, je renonçais à entrer, acceptant ce que le sort avait ainsi décidé. Et peut-être même dois-je le remercier. Va-t’en savoir.

 

Mille et une nuits – Création mondiale
Chorégraphie, conception, textes et direction artistique : Sorour Darabi
Performeurs, chanteur, acteurs et musiciens en live : Aimilios Arapoglou, Li-Yun Hu, Felipe Faria, Lara Chanel, Sorour Darabi, Pablo Altar, Florian Le Prisé et Ange Halliwell
Composition musicale : Pablo Altar, Florian Le Prisé
Création lumière : Shaly Lopez, Dani Paiva de Miranda
Scénographie : Alicia Zaton / Costumes : Anousha Mohtashami
Pièce donnée les 28, 29 et 30 juin 2024 au Studio Bagouet de l’Agora, Montpellier

 

 

Quand la danse, au-delà d’un statut d’objet de recherche ou d’outil de divertissement ou de littéralité de « concept » approximatif ou de propagande politique primaire ou pas, ou tout ce vous voudrez, quand la danse mérite son titre d’art chorégraphique, on peine à en croire ses yeux, comme capté, magnétisé, il faut y retourner voir.
Samedi 29 juin, 22 heures, retour au Théâtre de l’Agora pour voir pleinement, une deuxième fois – chose qui ne m’était jamais arrivée avec seuls deux jours d’intervalle – , la création – là encore, cela ne signifie pas c’est tout neuf mais « action de tirer du néant » – « takemehome » de Dimitri Chamblas, avec, cette fois il faut citer tout le monde : Marion Barbeau, Marissa Brown, Eli Cohen, Bryana Fritz, Eva Galmel, François Malbranque, Jobel Medina, Salia Sanou, Kensaku Shinohara.

Étonnant ce soir-là, ce sentiment d’être back home et d’être ainsi à nouveau happé par la scène et son débord d’émotion, soumis à une adhésion quasi fantasmagorique à la montée en puissance du spectacle jusqu’au flamboyant crescendo des 2, 3, 4 et 5 guitares. Sublime. On est prêt à accompagner, encore, et sur la mélodie de Kim Gordon, les corps apaisés jusqu’au profond de la nuit.
Si la résonance est envoutante, la structure temporelle est parfaite, preuve que l’on peut faire un voyage inoubliable en une heure de temps. Seul échange à la fin du spectacle : C’est vraiment beau !

 

takemehome – Création
Chorégraphie : Dimitri Chamblas / Musique : Kim Gordon
Lumière : Yves Godin en collaboration avec Virginie Mira pour la conception du dispositif
Pièce donnée les 27, 28 et 29 juin 2024 au Théâtre de l’Agora, Montpellier

 

 

La transe, travaillée en triptyque, est perçue comme juste voie pour atteindre la Vérité selon Taoufiq Izeddiou, le chorégraphe de « Le Monde en transe ».
Dimanche 30 juin, 18 heures 30, le deuxième opus de l’ensemble, « Hors du Monde », était présenté au Hangar Théâtre.

Entrant dans la salle, on pense s’approcher d’un séduisant dance floor de night-club avec damier de couleurs façon piste disco. Il s’avèrera que s’imposera, plus tard, référence aux tapis de prières.
Loin d’être dans un lieu léger, nous serions dans un espace d’accueil mystique ou, pour le moins, spirituel. On a lu la feuille de salle et entendu à la conférence de presse de la veille qu’il sera question d’une quête de transe, et la musique et les percussions le confirment d’entrée même si elles ne sont pas folkloriquement marquées. Quoi qu’il en soit, accompagné d’un guitariste qui hybridera les pistes entre lancinants riffs et accents rock, un danseur inspiré s’exécutera avec conviction et grâce aussi, de balancements à tremblements cadencés, évitant ondulations du bassin ou des épaules mais jouant la dévotion de ses bras invoquant, ce tout, une bonne heure durant.
La structure de la pièce nous laisse de plain-pied, démonstrative à tronquer toute dramaturgie, ponctuée d’un moment lourdement performé et d’un autre, parlé, comme si on ne pouvait accorder sa pleine confiance à la danse seule et comme on le voit dans nombre de pièces affectées, bâties de tous leurs ingrédients, à la française. Témoin d’un travail consciencieux, on reste, à distance, ancré dans notre réel.

 

Hors du Monde – Le Monde en transe (trilogie)
Chorégraphie et espace : Taoufiq Izeddiou
Danseur : Hassan Oumzili / Musicien : Mathieu Gaborit aka Ayato
Création sonore : Mathieu Gaborit aka Ayato et Taoufiq Izeddiou
Création lumière : Ivan Mathis / Régie : Marine Pourquié
Pièce donné le 30 juin 2024 au Hangar Théâtre, Montpellier

 

 

Abdel Mounim Elallami, accueilli tout récemment en résidence à l’Agora, Cité internationale de la danse, donna un échantillon de son travail en recherche lors du rituel moment de sortie de résidence, intriguant le regard de Jean-Paul Montanari. Ni une ni deux, comme au poker, pour voir, il faut payer. Aussitôt l’invitation à montrer lui a été lancée et nous, conviés, à découvrir.
La courte pièce, « Idée », a été montrée le lundi 1er juillet au Studio Cunningham de cette même Agora.

« Idée est un intense combat intérieur. Constant, il se transforme en un chemin vers la résilience et l’acceptation de soi dans son entièreté. Un futur apaisé se dessine, mais est-il utopique ? Aux yeux des autres, de la société, de la religion, est-il possible d’être vrai ? », écrit Abdel Mounim Elallami.

On n’en espérait pas tant, et heureusement, sur le plateau, ce fut moins bavard.
Les premiers gestes, de simples et légers mouvements des mains, sont déjà dansés. Regard dans un vague, l’état concentré ne devant être perturbé, ces mains semblent revenir à la vie tout comme le buste, les bras et le corps entier ensuite. S’entamera alors un parcours, tant concret que subtilement métaphorique, de diagonales d’aller-retours, d’avant en arrière, de pile et de face, nourries de décomposition de simples mouvements, révélant leur part de sensualité avec aussitôt des raideurs sèches et puissantes en contrepoints. Dans une apparente simplicité aussi désarmante qu’élégante, se manifesteront de légères ondulations du ventre, des déliés des doigts et le réveil des épaules muant ce parcours, sur cette voie toute personnelle en diagonale, en transport charnel.
On craint une dérive vers le convenu lorsque soudain il éructe, exhale et tonne. On devine des mots qui le hantent mais, fort justement, ils seront dits par un autre, de loin, d’une voix autoritaire et en arabe, incompréhensible pour nous, et c’est bien ainsi, le dialogue conservant toute son intimité, et nous, protégés de toute déceptive trivialité.
On notera cette tentation d’inclure des mots et le souci de ne pas négliger l’idée d’une scénographie, accessoire aidant. Cet artiste n’a nullement besoin de telles béquilles, devant plutôt, me mêlant de ce qui ne me regarde pas, se préserver de la contamination des travers de l’institutionnalisation des formes, comme on l’a vu précédemment. Reconnaissons l’acuité et l’appétence toujours vivaces de Jean-Paul Montanari face à la singulière potentialité de ce danseur qui, nanti d’une certaine fraîcheur, loin d’être innocente, nous a également ravi.

 

Idée – Création
de et par Abdel Mounim Elallami
Pièce donnée lors de deux représentations le 1er juillet 2024 au Studio Cunningham de l’Agora, Montpellier

 

Jean-Paul Guarino