« La création est une pratique avec un résultat qui peut être parfois réussi et parfois moins », nous prévient Dimitri Chamblas. Émancipé par la danse depuis très jeune, il lui fait depuis pleinement confiance et ne craint donc pas d’en explorer toutes ses diversités. Autant dire qu’à quelques heures de la première de cette création, on ne peut parier sur rien, surtout quand il précise que Kim Gordon, co-autrice de la pièce et invitée en tant que musicienne, doit être plutôt considérée comme plasticienne.
Le cerveau joyeux et une pratique nourrie des pièces antérieures plus une bonne dose d’intuition, la danse sera travaillée par elle-même, au sein d’une communauté éphémère des « danseurs de mes rêves », voilà ce qui s’annonce. Pas de dramaturgie préméditée donc, mais penser l’espace des plus libres afin d’accueillir au mieux la beauté, tel est le challenge. Voilà donc, résumé, inspiré de ses mots, accordant toute sa confiance à tout et à tous, le projet, risqué et décomplexé à la yankee, de Dimitri Chamblas.
Nous sommes le jeudi 27 juin, 22 heures, sur les gradins du Théâtre de l’Agora, « takemehome » de Dimitri Chamblas et Kim Gordon, va débuter.
Autant le dire d’entrée, le pari est tenu et il faudra le temps entier de la représentation pour l’admettre, tout en ne comprenant rien à cette bien étrange expérience traversée.
9 danseurs, un à un, émanant de la nuit de la salle montent sur la scène, éclaircie par une lune inédite, avec chacun sa partition en présentation, se rapprochant, se testant les uns les autres, usant de battle pour mieux s’apprivoiser tout en parcourant le plateau entier, s’en faisant leur territoire ou comme rendant sa virginité à cette désormais nouvelle terre d’accueil.
En fond de scène aussi, 5 amplis et 5 guitares qui seront magistralement décrassées de tout leur mal pour obtenir un parfait silence qui baignera l’union de l’une et son autre, harmonieuses et parfaites complices au-delà de l’unisson, telles égéries d’une Humanité apaisée. Un peu plus tard, sur des sons maitrisés en superbe mélodie, la beauté advient, ils sont maintenant 4 doubles, dans une temporalité ralentie et sereine, puis repartent vers leur nuit alors que la lune s’efface, laissant la danse faire une dernière pirouette avant de disparaitre, évanouie dans ses propres limbes, comme par merveille, tout comme apparut la beauté de cette danse qui se fit désirer pour mieux se faire aimer.
Je sais, ces quelques lignes ne peuvent rencontrer que ceux qui ont vu la pièce et l’ont aussi vécu en expérience de connexion avec la danse pure, quintessence de l’art, et donc cela doit concerner encore moins de monde car l’humeur du moment a toute son importance et il fallait être disposé à accorder un minimum d’empathie avec l’œuvre en cours afin d’en savourer pleinement son apparition.
Un dernier mot pour signifier le brillant casting construit par Chamblas, réunissant les meilleurs, chacun dans son propre champ esthétique tel, en incarnation de la danse au final, Salia Sanou, que l’on déplore de ne presque plus voir en interprète, et Marion Barbeau qui tout du long fut éblouissante, et les sept autres aussi.
takemehome – Création
Studio Dimitri Chamblas
Chorégraphie : Dimitri Chamblas
Musique : Kim Gordon
Avec Marion Barbeau, Marissa Brown, Eli Cohen, Bryana Fritz, Eva Galmel, François Malbranque, Jobel Medina, Salia Sanou, Kensaku Shinohara
Lumière : Yves Godin en collaboration avec Virginie Mira pour la conception du dispositif
Costumes : Dimitri Chamblas, Andrealisse Lopez
Pièce donnée les 27, 28 et 29 juin 2024 au Théâtre de l’Agora, Montpellier
Cheng Tsung-lung, chorégraphe de la compagnie du Cloud Gate de Taïwan, définit la danse comme protection et outil de défense au sein d’un monde, hyper connecté, tiraillé entre l’héritage de rituels ancestraux et violence de la trivialité du quotidien.
Il a présenté « Lunar Halo » ce vendredi 28 juin, à 20 heures, à l’Opéra Berlioz du Corum.
Nous vîmes une danse plus physique que virtuose, limite tribale de par une hybridation de moderne convenu et d’une gestuelle, hyper précise et pas avare d’expressionnisme, héritée du Qi Gong et des arts martiaux, sur des musiques hybrides aussi, mix de sons occidentaux mi-planants mi-cosmiques et de percussions aux sonorités asiatiques.
Le spectacle fonctionne par « tableaux », suite de nombreuses métaphores parfaitement lisibles, à la recherche constante d’une idée de la beauté, alors que les ingrédients réunis feraient plutôt pencher l’esthétique sur un versant exotique flirtant avec le kitsch, ce tout, agrémenté d’une débauche d’effets lumineux et de vidéos projetées dans tous les sens, une véritable démo technologique.
Les danseuses et danseurs, un bataillon de 13 au total, prirent d’assaut le plateau, faisant corps comme un seul homme, exécutant avec abnégation, au cordeau et à fond, des figures d’ensemble dignes de « Taïwan a un incroyable talent ». Pour sûr, nos amis asiates ne sont pas venus pour faire de la figuration.
Dernier effet de contre-jour avec fumée sur une chanson de variétés native et fin du spectacle, qui malgré ses 70 minutes me parut bien long, et la salle, comme un seul homme aussi, fit une des plus puissantes standing ovations de l’histoire du festival, un tonnerre d’applaudissements comme l’on dit.
Sûr, ils reviendront.
Lunar Halo – Première en France
Cloud Gate Theatre of Taïwan
Chorégraphie : Cheng Tsung-lung
Musique : Sigur Rós
Direction musicale : Kjartan Holm
Design visuel : Jam Wu
Lumière : Shen Po-hung
Vidéo : Ethan Wang
Costumes : Chen Shao-yen
Pièce donnée les 28, 29 et 30 juin 2024 à l’Opéra Berlioz du Corum, Montpellier
Jean-Paul Guarino